Les nouvelles de septembre

Hoping against hope that eventually something sticks

Les nouvelles de septembre

Extrait de “Tick, Tick... Boom!” de Lin-Manuel Miranda

Dans une de mes chansons préférées au monde, Random Rules, David Berman de Silver Jews chante “I know that a lot of what I say has been lifted off of men’s room walls”. C’est une phrase qui m’a toujours amusée. Moi je crois bien que tout ce que je dis ou pense me vient directement des films, livres, chansons. En novembre 2021 par exemple, j’ai regardé le film Tick, Tick… Boom ! de Lin-Manuel Miranda et de façon complètement inattendue, il est devenu ma boussole. Une scène en particulier. Jonathan Larson vient d’essuyer un bide avec sa comédie musicale hyper ambitieuse et rien de ce qu’il avait prévu n’arrive. Le succès n’est pas au rendez-vous. Au téléphone avec son agente, celle-ci lui donne plusieurs conseils. Le premier c’est d’écrire sur ce qu’il connaît. Et le deuxième, le plus important, c’est de continuer, encore et encore. Écrire, lui dit-elle, c’est jeter des choses contre le mur et espérer, sans aucune garantie, que ça accroche. Je ne sais pas dans quelle mesure cette métaphore fonctionne en français, mais depuis que j’ai vu ce film elle ne m’a jamais quittée. J’ai continué, against all hope, de jeter des choses dans le monde et de voir ce que ça donnerait.

Et donc j’en viens, avec une grande subtilité, à vous parler de mon livre Le petit chat et moi, qui est sorti jeudi dernier aux éditions Philippe Rey. Je dois beaucoup à mon éditrice Stéphanie Cochet, qui n’est pas un personnage de fiction — mais parfois, même si c’est rare, j’écoute aussi les gens de la vraie vie. C’est un récit très personnel qui parle de la vie et de la mort de mon chat et plus généralement de deuil et de la relation que l’on tisse avec nos animaux. J’y fais plein de détours culturels par les Moomin, Jonathan Richman, Ingmar Bergman (même par Yo La Tengo !) et je fais apparaître toutes ces personnes de l’autre vie qui dialoguent dans mon cerveau. Quand je l’ai retravaillé, j’ai dû enlever une partie des citations qui s’y trouvaient, comme on pèle un oignon et j’ai appris à chercher ce qu’il me restait, une fois que mes ami·es imaginaires ne me tenaient plus la main.

Au cœur de l’oignon il n’y avait plus que moi, les mots, les émotions qui brûlent à l’intérieur, la vulnérabilité et tout ce que j’avais à jeter contre le mur du monde. Maintenant, il suffit d’attendre de voir si ça accroche. Et de continuer à écrire.

Si vous le lisez et que vous l’aimez, je serai évidemment ravie d’avoir vos retours ❤️

Je trouve que ça mérite d’avoir la couv en grand quand même non ?

Ce que j’ai fait en septembre :

🎉 Eh bien j’ai sorti un livre ! C’est déjà pas mal, non ? Comme je le disais, il est disponible dans toutes vos librairies préférées (s’il n’est pas en rayon, vous pouvez le commander !).

📚 À l’heure où vous recevez ce mail, je serai dans le train pour Paris pour le lancement qui aura lieu à la librairie Un livre et une tasse de thé dans le 10ème arrondissement à partir de 19h. Si vous êtes dans le coin, venez !

À voir / à lire / à écouter :

📽 En ce moment il y a une rétrospective de l’un de mes réalisateurs pref, George Cukor, à la Cinémathèque. Si vous ne connaissez pas Cukor je ne peux que vous conseiller A Star is Born (son chef d’œuvre à mes yeux), ses screwball comedies (Indiscrétions, Madame porte la culotte), ses films avec la géniallissime Judy Holliday (Born Yesterday, Une femme s’affiche), son grand thriller (Gaslight avec Ingrid Bergman)… Et évidemment Vacances avec Katharine Hepburn et Cary Grant qui est plus qu’un film — une philosophie de vie. Bref, qui dit rétrospective dit très beaux articles sur Cukor dans Libération (par Nathalie Dray) et dans Les Inrocks (une interview d’Hélène Frappat, qui a écrit un livre génial sur Gaslight). J’espère que tout ça vous donnera envie de découvrir ce formidable et prolifique cinéaste !

✏️ Mona Chollet a partagé cet article de Lance Richardson sur le vide que l’on ressent après avoir rendu un manuscrit, qu’il nomme “the gulf”. Je l’ai trouvé intéressant et, évidemment, d’actualité dans mon cas. J’ai aussi été intéressée par cette interview de Sally Rooney par David Marchese (merci à Stéphanie de me l’avoir partagée !) dans le New York Times dans laquelle elle dit ne pas penser à ses livres comme faisant partie d’une “œuvre” plus large. Elle fustige aussi le besoin de “grandir” ou “d’évoluer” à tout prix. “Get bigger, sell more and be different — novelty, reinvention. I don’t find that very interesting.” Évidemment, c’est facile à dire quand on est Sally Rooney (ie une star internationale qui vend whatmille livres) mais je trouve malgré tout la réflexion intéressante et ça fait toujours du bien de l’entendre.

📚 J’ai beaucoup aimé la newsletter de Manon/Cebe Barnes sur la fiction. Pourquoi on en écrit ou pas, qu’est-ce qu’elle a d’intéressant, pourquoi les autres types d’écriture sont dévalorisés. Toutes ses réflexions m’ont vraiment intéressée. “Bien sûr qu’on ne choisit pas ce qu’on écrit parce qu’on ne choisit pas ce qui nous intéresse, écrit-elle. L’important, c’est ce qui sort. C’est ce dont on parle quand on est attablé face à un·e ami·e. C’est ce qui doit être dit d’une manière ou d’une autre.

❤️ Je suis allée voir Dahomey de Mati Diop, documentaire qui raconte la restitution des trésors royaux du Dahomey en 2021. Je crois que ça fait longtemps que je n’avais pas été aussi stimulée intellectuellement par un film qui est à la fois très politique et magnifique visuellement, qui m’a fait me poser beaucoup de questions. Ça parle des restitutions, de la colonisation (et de ses effets sur le rapport au langage, à l’Histoire, à la culture), mais aussi beaucoup de regard. Je vous recommande de lire l’interview de Mati Diop menée par Joséphine Leroy pour Trois Couleurs.

🎧 Le mois dernier je vous avais parlé du dernier album des Softies, même que je m’étais trompée dans le titre (c’est The Bed I Made). J’ai eu les larmes aux yeux plusieurs fois en lisant cette très belle interview dans Pitchfork (menée par Nina Corcoran) dans laquelle les deux chanteuses et musicienneais parlent de la différence entre être vulnérable à 20 ans et à 50. Elles évoquent surtout leur amitié : “We’re always lifting each other up about our insecurities, and we’ve been doing that for 30 years. To have this kind of friendship in middle age is a real gift.” J’ai aussi aimé apprendre que Rose Melberg tient un magasin autour des chats. Fuck me I’m Twee 🌸

Reggie et moi attendant la sortie de mon livre

En bref :

📚 J’ai rattrapé Le convoi de Beata Umubyeyi Mairesse, paru en janvier dernier aux éditions Flammarion. J’aimais déjà beaucoup cette autrice pour ses fictions et j’ai été vraiment soufflée par la construction et l’écriture de ce livre dans lequel elle raconte sa fuite du Rwanda dans un convoi humanitaire le 18 juin 1994 quelques semaines avant la fin du génocide des Tutsi. Ce livre est d’une grande richesse et pose la question de qui raconte l’Histoire. Il y a vraiment des pages que j’ai trouvé fascinantes sur les photojournalistes blancs et sur le rôle des médias plus généralement dans le silence assourdissant autour du génocide. Il y a évidemment beaucoup de parallèles à faire avec le génocide en cours à Gaza. Je vous recommande vraiment de lire ce livre si ce n’est pas déjà fait.

📽 En septembre j’ai regardé Gare centrale de Youssef Chahine que j’ai aimé et trouvé très complexe sur les rapports de genre et de classe, c’est un film auquel j’ai beaucoup réfléchi après l’avoir vu. Il se déroule uniquement dans la gare du Caire et met en scène une poignée de personnages autour de leurs rapports de domination. Et il y a une séquence musicale vraiment géniale.

📚 Cette semaine j’ai regardé un épisode de Bob’s Burger dans lequel Tina va se faire épiler les jambes avec son père pour éviter les moqueries de ses camarades de classe. Et il y a cette scène vraiment adorable pendant laquelle ses poils lui manquent et elle les imagine voler au vent. Tout ça pour dire que ce mois-ci j’ai aussi lu La haine du poil de Juliette Mancini, Sara Piazza et Alexia Chandon-Piazza (paru aux éditions Cambourakis) qui m’a fait beaucoup de bien sur un sujet autour duquel on perd beaucoup de temps de vie. C’est une approche drôle (les poils se tapent des petites discussions), très féministe (pourquoi a-t-on aussi peur des poils sur les femmes ?), très intelligente (et les poils dans l’Art on en parle ?), intergénérationnelles (on y croise des ado comme des femmes plus âgées) qui a fait du bien à mon adolescente intérieure, toujours traumat’ par une remarque sur ses poils de bras. Les dessins de Juliette Mancini sont sublimes — et s’ils vous plaisent je vous conseille de vous plonger dans sa précédente et magnifique BD Éveils (qui parlait, elle aussi, de notre rapport à notre corps). Je ne savais pas que j’avais autant besoin qu’on me parle de mes poils.

📖 Le 19 septembre est sorti l’un de mes romans préférés de la rentrée littéraire, Martyr ! de Kaveh Akbar (traduit par Stéphane Roques, paru aux éditions Scribes). Je l’ai tellement aimé qu’au moment d’écrire à son sujet, je me suis retrouvée devant une page blanche. J’essayais de donner une forme à mon émotion et aux larmes qui ont coulé sur les derniers chapitres. C’est un roman qui parle d’un jeune homme suicidaire qui tente de donner un sens à sa future mort et se met à écrire des poèmes sur des martyres célèbres. Ça raconte sa naissance en Iran, son adolescence aux États-Unis après le 11/09, ses deux parents disparus. Ça parle d’art, aussi, de la place qu’on lui donne dans notre vie, de nos mondes imaginaires, de souffrance et d’amitié-amour, d’intériorité. Et à la fin, on pleure.

Et, une fois n’est pas coutume, je vous laisse avec une chanson que vous retrouverez dans Le petit chat et moi si vous le lisez. Eh, reine de la promo non ?