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Les nouvelles de novembre
I saw the messed up world today, standing all alone in the rain
Les nouvelles de novembre

Image de “Millenium Actress” de Satoshi Kon
Je me suis réveillée dimanche au milieu de la nuit avec une aura migraineuse, un phénomène assez particulier qui dessine des formes lumineuses dans le champ visuel, un peu comme ces scènes pénibles dans les films qui essaient de reproduire ce que les gens voient quand iels se droguent. Quand ça m’arrive, je fais comme dans tous les événements un peu stressants de ma vie : j’écoute de la musique. Et malgré l’état de panique dans lequel cet état me plonge parfois, je prends toujours quelques minutes pour curate le morceau parfait, celui qui dit : tout va bien se passer. Parfois je vais vers les classiques : les Nocturnes de Chopin ou Don’t have to be so sad de Yo La Tengo. Dimanche je me suis décidée pour l’album Victorialand des Cocteau Twins qui m’a beaucoup accompagnée cette année. Alors j’ai écouté Lazy Calm encore et encore, emportée par ses vagues, je l’ai laissé m’envelopper jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien, plus rien que le son autour de moi. Et puis j’ai regardé deux comédies romantiques à la suite avec mon chat sur les genoux.
J’ai commencé à regardé la série Zoey’s Extraordinary Playlist (désormais disponible sur Netflix), qui raconte l’histoire d’une jeune fille peu sûre d’elle qui a soudainement accès aux pensées profondes des autres sous forme de numéros musicaux. Elle entend son collègue déprimé chanter Mad World, une jeune mère fatiguée dans le tram entonner Help ! Et la musique lui offre le pouvoir de comprendre et de réconforter les autres dans le même mouvement. J’aime bien cette idée qu’il y ait en permanence une chanson en nous.
L’un de mes réconforts, justement, c’est d’aller lire les commentaires sur YouTube en dessous des morceaux que j’aime ou que je découvre. Je suis toujours étonnée de voir ce qui circule en-dessous de ces titres qui ont parfois quinze ou vingt ans. Les gens racontent s’être marié sur telle chanson, avoir consolé un·e proche sur une autre, partagent leur parole préférée, et disent des choses parfois drôles, parfois profondes sur la place que prend la musique dans nos vies. “Cet album, c’est comme si un fantôme bienveillant te partageait sa mixtape”. “Sounds like nothing I've ever heard, and everything I've ever loved”. “Cette chanson me rappelle les longs trajets en bus pour rentrer chez moi”. Il y a de longs échanges comme ça, parfois sur un morceau obscur d’un groupe obscur que j’écoutais à la fac, des gens qui viennent juste dire “we’re gonna be okay”. Et puis il y a des personnes qui demandent “quelqu’un ici en 2025 ?” sur des immenses tubes, ou qui arrivent à tel groupe par la même série, le même film. Parfois j’aimerais aussi venir commenter sur mes chansons préférées des Cocteau Twins, venir raconter les passages que je connais par cœur, les mots qui sont gravés en moi, le réconfort profond, j’aimerais dire à quel point j’aime quand Joni Mitchell chante “I wanna knit you a sweater, wanna write you a love letter”. Mais je reste on the outside, looking in. Et je prends ces petits instants de joie, aussi entêtants et évanescents que l’odeur du thé à la cannelle.
Ce que j’ai fait en décembre :
👀 Très contente que 2025 ait marqué le retour de la régularité sur mon blog (merci x5000 à Olivier qui a rendu cet espace si pratique et joli). Ce mois-ci j’ai écrit sur l’amitié dans le tome 2 de Ils brûlent d’Aniss El Hamouri (paru aux éditions 6 pieds sous terre). Je vous conseille fort de vous y plonger ! C’est ici ! Et j’ai aussi regroupé deux petites chroniques autour de Machine qui rêve, le passionnant essai d’Arthur Bouet sur Fast & Furious (mais même si vous n’êtes pas fan de Vin Diesel, lisez-le pour la réflexion profonde sur la cinéphilie, la construction de nos goûts et l’évolution d’Hollywood) et la Méthode carnets d’idée de Nathalie Sejean, un objet précieux qui explore toutes les manières d’archiver. C’est une vraie méthode, facile à suivre et expliquée avec beaucoup de clarté. Les livres sont publiés respectivement au Gospel et aux éditions la Fourmi, donnez-leur vos sous !
✨ Dans le dernier épisode de l’huile sur le feu, Ambre et moi parlons de Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d’Ariane Louis-Seize (l’occasion de reparler de cette scène ? Tout à fait) et d’Avale de Séphora Pondi (éditions Grasset). À écouter par ici ou sur vos plateformes habituelles !
📚 Du côté des Inrocks j’ai écrit sur Nullipares et alors ? un ouvrage collectif sensible et politique dirigé par Chloé Delaume. Ici ! J’ai aussi chroniqué le premier livre de Romuald Gadegbeku, Les gréveuses, roman politique porté par un vrai souffle collectif, qui parle de la grève de femmes de chambres dans un hôtel de luxe. Là ! J’ai aussi lu la nouvelle traduction du Bruit et la fureur de Faulkner par Charles Recoursé .
À voir / à lire / à écouter :
✏️ J’ai lu avec pas mal d’angoisse ce papier de Laurent Carpentier paru dans le Monde sur les scénaristes français qui utilisent l’IA. C’est un article que je trouve assez vertigineux (en tant qu’humaine qui vit sur une planète très mal en point, en tant que personne qui écrit et aime assez faire usage de son cerveau et de ses émotions mais aussi en tant que personne qui regarde beaucoup de films et de série pour comprendre le monde et les gens) mais aussi instructif sur la triste banalisation de l’IA dans les milieux créatifs. Et ne venez pas me dire qu’il faudra s’y mettre parce que c’est la marche du monde et la concurrence ladida.
📚 J’ai très intéressée par cette interview d’Yves Torrès, co-fondateur des éditions du Typhon, parue dans la revue Commune et que vous pouvez lire ici. Il y aborde beaucoup de sujets : implanter une maison hors de Paris, la force de prescription des libraires (VS celle des critiques, qui baisse comme on le sait), publier de la littérature étrangère, pousser de nouvelles voix, construire un catalogue, faire face aux difficultés économiques… C’est très exhaustif !
🗞 Ludovic Lamant fait le point du côté de Médiapart sur le blocage par la droite d’une subvention de 500 000 euros destinée à 40 librairies indépendantes. Manœuvre qui a pour objectif de “punir” la librairie féministe Violette & Co qui vendait un coloriage présenté par ses auteurs comme “un ouvrage d'activités accessible aux enfants, qui leur apprendrait aussi des choses sur la lutte de la Palestine pour la liberté". L’article explique plus largement les difficultés économiques des librairies depuis cinq ans et les intimidations dont sont victimes les enseignes engagées, et notamment celles qui ont fait des vitrines autour de la Palestine. C’est à lire ici .
📚 Toujours dans le volet édition, je vous recommande de lire le texte écrit par l’auteur de BD Benjamin Adam (et au passage lisez le très beau tome 1 de sa série Inlandsis Inlandsis !) dans laquelle il parle très concrètement des conditions de travail des bédéastes et de la précarité des auteurices. Par là-bas !
👀 J’ai trouvé assez passionnant ce texte des Dumariolles (“collectif d’artistes fans de l’œuvre d’Alexandre Dumas père” dont l’un des objectifs est de “mettre en valeur les femmes, les personnes racisées, et les thématiques LGBT”) sur Je voulais vivre d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre, roman qui vise à “rend vie à Milady”. La tribune réfléchit au statut de romancier qui est refusé à Dumas. “Comment Dumas, un homme noir, semble-t-elle signifier, aurait-il pu avoir la finesse d’esprit pour comprendre sa propre œuvre ?” C’est un texte que j’ai trouvé stimulant et intéressant (découvert grâce au partage d’Amandine Schmitt sur Bluesky), à lire par là !
💖 Je lis assidument la newsletter de la journaliste culture Lena Haque What’s in my bag, j’y trouve toujours des analyses singulières et intéressantes sur la pop culture. J’ai particulièrement aimé le numéro d’octobre, que vous pouvez lire par ici dans lequel elle explore notamment ce que cela fait d’être fan d’un·e artiste à l’heure des takes de plus en plus virulentes sur les réseaux sociaux (son texte part du nouvel album de Taylor Swift). J’ai particulièrement aimé cette phrase : “Pourtant, parfois, comme dans le cas de la sortie de The Life of A Showgirl, je regrette que la porte de notre chambre d’ado ait ainsi été ouverte toute grande sur le monde, laissant entrer beaucoup de choses intéressantes, mais nous empêchant aussi de jouir de toute forme d’intimité.”

Planche d’”Une obsession” de Nine Antico (Dargaud)
En bref :
🕰 Ce mois-ci j’ai vu pour la première fois Millenium actress de Satoshi Kon, un film qui m’a accompagnée et dont j’ai essayé de déplier le mystère pendant plusieurs jours. Il raconte l’histoire de deux documentaristes qui partent interviewer une actrice disparue des écrans depuis plus de trente ans. Pendant l’entretien, elle déroule une vie passée, en apparence, à chercher un jeune dissident politique dont elle est tombée amoureuse. Ce dernier lui a donné une clé, le début d’une longue quête pour le retrouver de pays en pays, de plateau de tournage en plateau de tournage. Ses souvenirs se mêlent aux décors des films dans lesquels elle a joué, lançant un double jeu de piste : celui des documentaristes qui cherchent à la comprendre, et celui des spectateurices qui tentent de démêler le vrai du faux. Et puis il y a un moment dans le film où on abandonne et on se laisse complètement porter par ce mélange de fiction et de réalité, de passé et de présent, un moment où on oublie le temps flèche pour embrasser les circonvolutions de la mémoire. J’ai été très émue par la dernière séquence du film, qui donne un pouvoir fou à son héroïne, et réécrit complètement l’histoire de l’amoureuse éplorée. Et puis les dessins sont sublimes. C’est un film étrangement réconfortant, dans ce qu’il nous dit sur le temps et la mort.
📚 Je suis en général très férue du travail de Nine Antico, et j’ai été particulièrement émue par sa dernière BD Une obsession (publiée aux éditions Dargaud), dans laquelle elle raconte le désir dans toute sa complexité. Elle explore la manière dont la sexualité des femmes hétérosexuelles se construit dans un contexte patriarcal, parfois de manière violente, et la difficulté de se réapproprier son corps et ses fantasmes dans ces conditions. “Combien de temps, écrit-elle, ai-je sacrifié à cette activité passive : regarder les garçons ?” La BD se déroule dans un Venise imaginaire et son dessin est plus sombre et plus beau que jamais, tout en noir et blanc, tout en suggestions et en planches vraiment saisissantes.
🎧 Il y a eu beaucoup de bons disques dans mes oreilles ces dernières semaines et je m’en réjouis, j’avais l’impression de tourner en boucle ces derniers temps, ce qui me chagrinait. J’ai adoré le nouvel album de Lael Neale, Altogether Stranger, si vous aimez les meufs à guitare électrique (et les textes travaillés), c’est pour vous ! J’ai aussi pas mal écouté Night CRIÚ d’Hilary Woods (merci Olivier pour celui-ci), qui est aussi un disque de meufs à guitares électriques avec option réverb, harmonies, percussions et ambiances mystérieuses (i have a type). Et enfin, j’ai trouvé beaucoup de réconfort dans le nouvel album de mes chouchous de Sonny and the Sunsets, The Diving Kind, un disque qu’ils ont enregistré lors d’un voyage au Sénégal et ne sonne pas du tout comme leur pop habituelle. J’ai beaucoup écouté In And Out of the Cult que je considère comme un tube, mais je sais que je suis particulièrement mauvaise à ce jeu-là.
🧟♂️ J’ai lu beaucoup d’avis très mitigés sur le Frankenstein de Guillermo del Toro, j’ai été assez séduite pour ma part par le côté très sentimental de cette adaptation, mais aussi par les décors, la petite touche méta, les acteurices, et puis la fin qui m’a vraiment émue. Ma lecture de Frankenstein en fac d’anglais commence à dater sérieusement et le film m’a donné envie de replonger dans l’œuvre de Mary Shelley, d’autant que ma libraire préférée (Véronique de la Petite Librairie à Brest, the one and only) m’a vanté les mérites de la nouvelle traduction de Marie Darrieusecq aux éditions Monsieur Toussaint Louverture. Ce sera au programme des prochaines vacances !
Sur ce, je vous dis à dans une poignée de semaines pour le bilan de l’année 2025 !