Les nouvelles de novembre

Park that car, drop that phone, sleep on the floor, dream about me

Les nouvelles de novembre

Image du film de Jane Schoenbrun “I Saw the TV Glow”

J’avais hâte de rédiger ma petite newsletter ce mois-ci. Déjà parce que j’avais envie d’écrire “pour moi” et donc pour rien (et comme je suis contrariée par Tumblr, j’ai mis mon blog en pause pour une durée indéterminée — sauf pour le relais des posts Instagram) et ensuite parce que j’ai vu et lu plein de choses que j’avais envie de partager par ici. J’ai eu l’impression que mes lectures, mes visionnages et les discussions de l’IRL et d’ailleurs me redonnaient envie de mettre les rouages de l’écriture en mouvement. Et il était temps.

Ce mois-ci, j’ai surtout adoré découvrir le film I Saw the TV Glow de Jane Schoenbrun, que j’ai rattrapé en VOD (j’en ai déjà dit quelques mots par ici sur le tumblr maudit !) et avec lequel j’ai eu l’impression de dialoguer à un niveau vraiment intime et précieux. Je pensais voir un film d’horreur mais j’ai plutôt découvert une œuvre inclassable et fascinante sur notre (mon) rapport à la fiction, sur l’adolescence, sur l’idée de “réussir” sa vie ou non, sur la peur de ne pas devenir ce que l’on pourrait être, sur la création et ses affres, sur la liberté et sur l’amitié, aussi. Sur la transidentité, bien sûr — des personnes concernées en ont parlé bien mieux que je ne pourrai jamais le faire. Il y a dans I saw the TV glow un flou entre la réalité, la fiction, la fiction dans la fiction que j’ai trouvé très entêtant, qui est resté avec moi pendant des jours, comme si je n’étais pas vraiment sortie du film moi-même. J’avais ramené un bout de cette histoire et de ses personnages dans le vrai monde, une étrange tristesse, de celles qui n’ont pas d’origine et de finalité, celles qui planent comme des fantômes. Pour écrire un article j’ai relu Supplément à la vie de Barbara Loden de Nathalie Léger (P.O.L) et il y a un passage très émouvant dans lequel sa mère la lance, innocemment : “Je me demande pourquoi tu as le goût des choses tristes”. Elle essaie de comprendre l’attrait de sa fille pour Wanda. Moi aussi j’aime trouver dans les histoires des autres un petit bout de cette mélancolie que je ne sais pas nommer.

Est-ce que ça vous arrive parfois d’avoir l’impression que vous détenez une clé pour ouvrir une œuvre ? Que vous ne saviez pas quoi faire avec ce bout de ferraille pendant toutes ces années et que d’un coup son usage vous apparaît, comme une évidence ? C’est ce que m’a fait ressentir I Saw the TV Glow. Et cette émotion-là est un peu magique et joyeuse. Même quand on garde ensuite de ce film immensément beau et immensément triste comme une toute petite blessure au fond du cœur.

Ce que j’ai fait en novembre :

📚 Pour les Inrocks ce mois-ci, j’ai écrit (assez) longuement sur Girlfriend on Mars (paru aux éditions Rivages, traduit par Clément Baude), l’un de mes coups de cœur de la rentrée littéraire que je vous conseille fort de rattraper ! Et j’ai aussi profité d’un aller retour à Paris pour rencontrer la tatoueuse, illustratrice et autrice La Rata et écrire son portrait. Et j’ai aussi signé un papier sur le très bel ouvrage collectif Gouines (paru aux éditions Points féministe) co-dirigé par Maëlle Le Corre et Marie Kirschen et une enquête sur le succès de la littérature coréenne, de Han Kang à la K-healing.

🐈 J’ai été interrogée par Florian Bardou pour un papier sur le deuil animalier paru dans Libération. J’ai pu parler de mon livre Le petit chat et moi. Vous pouvez le papier par là !

📽 Je vous encourage si vous avez des sous à vous abonner aux premiers numéros de la super revue ciné Amateur·e (par ici !). Le thème du numéro un (qui est en précommande) est Peut-on déconstruire la célébrité ? J’y ai écrit sur Wanda de Barbara Loden, sur la rivalité féminine et sur The bad and the beautiful de Minnelli.

🎄 C’est bientôt Noël, donc n’hésitez pas à mettre mes livres sous le sapin et notamment Le petit chat et moi dont je vous ai parlé 472 fois et qui est sorti en septembre aux éditions Philippe Rey. Et il nous reste des exemplaires de nos zines Réussir sa vie et All my favorite singers couldn’t sing chez Maison Cosmo ! Autopromo réalisée par une professionnelle, ne tentez pas ça chez vous.

📚 Et enfin, je ne sais pas s’il y a des quimperois·es parmi nous mais je serai ce dimanche (le 1er décembre) au salon du livre de Brizeux, organisé par des lycéens !

À voir / à lire / à écouter :

🎧 J’ai beaucoup aimé cet article du blog Too Late to be Sad, qui parle de faire des playlists et de la manière dont un morceau peut changer quand on le fait dialoguer avec d’autres musiques ou d’autres paysages. C’est un texte que j’ai trouvé très profond et beau et vous pouvez le lire ici ! (et l’ajouter dans vos flux RSS, comme on disait au bon vieux temps !)

📽 J’ai trouvé passionnante cette longue interview de la scénariste et réalisatrice Audrey Diwan publiée dans la revue de cinéma Tsounami. C’est un rare exercice d’auto-critique dans lequel elle exprime des regrets (notamment sur le scénario de Bac Nord) et raconte les coulisses de ses films. J’ai trouvé ça émouvant et salutaire de lire cet entretien.

📚 J’ai aussi aimé lire l’entretien d’Emil Ferris mené pour les Inrocks par mon collègue Vincent Brunner (qui est toujours d’excellent conseil sur la BD !) dans lequel l’autrice parle notamment de violence et de ses prochains projets. Il me tarde de lire le tome 2 de My favorite thing is monsters !

💖 Je vous recommande fort ce très bel article de Sténia sur son amour pour Chloë Sévigny, qui est paru dans le numéro 0 d’Amateur·e et est aussi dispo en ligne. Je l’ai lu dans le train et j’avais un peu envie de pleurer. Il faut que j’arrête de lire dans le train.

💔 Ce mois-ci, Dorothy Allison est morte et, comme beaucoup de gens, ça m’a rendue triste. Je vous recommande de vous procurer ses livres, évidemment, mais aussi de lire ce superbe hommage publié dans Libé et écrit par sa géniale traductrice Noémie Grunenwald.

📚 Je vous recommande aussi la lecture de ce long entretien du poète gazaoui Mosab Abu Toha, mené par Joseph Confavreux pour Mediapart où il est notamment question de comment continuer à écrire.

Image de ‘Mon oncle d’Amérique’ d’Alain Resnais

En bref :

💖 L’un de mes meilleurs amis a sorti son premier film au mois de novembre, ça s’appelle 37 l’ombre et la proie, c’est un excellent thriller qui se passe sur la route et met en scène un chauffeur routier et une jeune femme. Je ne veux pas trop vous en dire pour ne pas vous gâcher le scénario. (je vous mets le lien Allociné comme ça vous voyez s’il passe près de chez vous) Allez le voir pour lui faire plein d’entrées, il mérite x1000000 (et je suis bien placée pour le savoir puisque je le connais depuis un nombre d’années que je ne préfère pas compter, mais qui est conséquent).

🗽 Après avoir adoré Je t’aime je t’aime, j’ai rattrapé Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais. C’est un beau film un peu étrange qui mêle trois histoires avec des théories sur les réactions animales et les neurosciences. L’une des choses que j’adore avec Resnais c’est sa haine du monde du travail, rendue ici particulièrement évidente dans ces scènes géniales et surréalistes qui mettent en scène des souris géantes.

🦇 Cette année j’ai vraiment vécu la spooky season intensément moi qui, n’étant pas une personne très courageuse, regarde donc assez peu de films qui font peur. J’ai absolument adoré lire Les écrans sanglants de Claire Cronin, un livre magnifique (et je pèse mes mots !) sur la passion de l’autrice pour le cinéma d’horreur. C’est tout ce que j’aime dans la littérature : un objet hybride qui éclaire notre fascination pour les images tout en livrant des récits très singuliers d’expériences personnelles et intimes (paru aux éditions le Gospel, traduit par Adrien Durand, et j’en ai parlé dans les Inrocks ici !). Ensuite j’ai lu le très très beau zine de Claire-Selma Les histoires d’horreur sont toujours des histoires d’amour et de vengeance qui parle de son rapport aux films de genre mais aussi de corps, d’identité, de racisme, de métamorphoses, de Donnie Darko et de détester les métaphores. J’ai adoré y retrouver son écriture si belle et forte. Et puis comme j’avais eu dans le zine un marque page de Saint Maud, j’ai rattrapé le film que j’ai trouvé assez fascinant.

🎧 J’ai passé des jours à chercher le nom de l’artiste Pipilotti Rist pour pouvoir retrouver sa reprise de Wicked Game. C’est une copine de last.fm qui en avait parlé il y a des années et j’avais été fascinée par la fin du morceau dans laquelle l’artiste crie les paroles de la chanson (chanson que j’adore par ailleurs). Voilà je l’ai retrouvée donc je la partage, pour que ça n’ait pas servi qu’à mes oreilles.

📚 En novembre j’ai aussi lu le roman Billy le menteur de Keith Waterhouse, qui date de 1960 mais a été réédité récemment par les éditions du Typhon (traduction de Sarah Londin avec des illustrations de Benjamin Vesco). C’est un roman anglais assez étonnant sur un jeune homme qui s’ennuie dans sa vie et qui invente toutes sortes de mensonges, du plus petit au plus gros. Il se rêve scénariste pour un humoriste à Londres, fait volontairement n’importe quoi à son travail… J’ai beaucoup aimé le ton du livre entre l’humour et la mélancolie et je me suis vraiment attachée à ce personnage de loser qui préfère vivre dans son monde imaginaire.

💖 Comme vous le savez peut-être, je suis une grande amatrice de comédies romantiques (et de son petit cousin dysfonctionnel, le téléfilm de Noël). Si vous avez besoin de réconfort en ce mois de décembre froid, nul et politiquement désespérant, je vous recommande de jeter un œil à la très mignonne Tout sauf toi de Will Gluck qui ne révolutionne rien (et surtout pas l’hétérosexualité bourgeoise et blanche) mais qui est une variation solide de mon trope préféré, ennemies to lovers avec en bonus quelques ref bien cheesy et un duo d’acteurices assez irrésistibles. Je l’ai vu avec une personne qui a le don de tout rendre vachement plus cool, donc peut-être que ça a joué, je ne peux rien garantir.

Et je vous laisse avec une citation du très beau roman de Mikella Nicol Les filles bleues de l’été, lu dans le TGV entre Paris et Brest, qui m’a frappé par sa mélancolie et par son beau portrait d’une amitié féminine. (merci Adrien !)

Elle ne lisait plus de livres. Moi non plus. L’excitation était trop forte pour que les pensées se concentrent sur les mots immobiles. De toutes façons, si la fiction avait pu remplacer nos jours, il y a longtemps que nous aurions été sauvées. Si les romans avaient ou nous servir de maison, nous aurions cessé de chercher la fuite.

Mikella Nicol