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Les nouvelles de mai
There's something living in these lines
Les nouvelles de mai

Nathan Fielder Nathan Fielding dans la saison 2 de The Rehearsal
Si vous me suivez ici ou ailleurs depuis quelques temps, vous savez que je suis une inconditionnelle du travail de Nathan Fielder et de ses deux séries Nathan For You et The Rehearsal. J’adore son inventivité, sa façon de brouiller la frontière entre réalité et fiction, le trouble qu’il fait naître chez les spectateurices (du moins chez moi), la difficulté de son personnage à se connecter aux autres et surtout, et c’est moins souvent cité, la grande vulnérabilité de ses autofiction. Il me semble que derrière ses atours de gros malin, ses mises en abimes multiples et son rapport ambigu aux personnes qui participent à ses séries (qui me questionne d’ailleurs souvent) il aborde toujours des sujets sensibles : comment exister dans le monde, comment définir les contours de sa réalité, comment vivre avec l’anxiété. Je sais que beaucoup le limitent à son côté cringe, mais j’ai personnellement une forte résistance au malaise, voire une certaine tendresse à son endroit, peut-être parce que je navigue moi-même dans la réalité avec une certaine dose d’inconfort.
Dans la saison 2 de The Rehearsal (le postulat de base de la série pourrait être résumé à : ne serait-on pas plus à l’aise dans la vie si nous pouvions répéter les situations qui nous stressent avant qu’elles adviennent ? — idée de génie à mon avis), Nathan Fielder part d’une intuition. Il est persuadé que l’absence de communication entre pilote et copilote dans le cockpit est la cause d’une partie des accidents d’aviation. Les copilotes n’arrivent pas à verbaliser leurs inquiétudes. Je ne m’attendais pas à être bouleversée à ce point par ces épisodes qui disaient, en creux, quelque chose d’assez unique sur l’introversion, sur la difficulté à dire non, sur les angoisses, sur les problèmes que j’éprouve parfois à être à l’aise en société. Et, encore une fois, derrière les gros moyens déployés, les blagues, le cringe (l’épisode qui retrace la vie de Sully Sullenberg est assez inoubliable) et tout ce que vous voulez, j’avais l’impression que The Rehearsal mettait des mots et des images sur des choses très profondes et venait réparer quelque chose qui semblait cassé pour toujours. (tout ça pour le prix d’un abonnement à un service de streaming !)
Début mai, j’ai été invitée à une résidence d’écriture en autogestion avec une bande d’auteurices hyper doué·es qui m’intimidaient beaucoup. J’ai passé les jours précédents à ressasser mon introversion. J’avais peur d’être, once again, la copilote qui dit « tkt » avant que l’avion ne se crashe. Et puis j’ai rencontré des gens incroyables qui posaient leurs limites, respectaient les temps calmes des autres, offraient leurs textes à nos oreilles avec beaucoup de vulnérabilité. Parfois, j’en ai pleuré. Et moi qui ai toujours cru que je ne pouvais bien écrire qu’à la maison, seule, avec mon casque sur les oreilles, dans mon safe space, j’ai réussi à sortir des textes en collectif, à avancer sur mon prochain livre, assise dans l’herbe, à parler pour la première fois d’idées de fictions que je n’avais jamais formulées, à dire quand je voulais partager et quand je préférais garder pour moi. Dans ces endroits où l’on peut déployer son introversion, son cringe, ses failles, on dit aussi plus facilement non. Il suffit, parfois, de trouver ces espaces, dans le cockpit d’un simulateur de vol ou dans la vraie vie. Merci Nathan Fielder pour la thérapie.
(et si ça vous intéresse j’avais écrit un texte sur mon blog sur la première saison de The Rehearsal mise en parallèle avec Qui sait de Pauline Delabroy Allard, dans lequel je parlais de contrôle dans la vie et dans la fiction, c’était un moment de ma vie où j’étais un peu dark donc TW tristesse)
Ce que j’ai fait en mai :
🎧 Dans le dernier épisode de L’huile sur le feu, Ambre et moi discutons de Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly et de Partir un jour d’Amélie Bonnin. De comédie musicale, en somme ! J’étais évidemment en roue libre sur ce sujet. ça s’écoute par ici ou sur Spotify et compagnie !
📚 Pour les Inrocks j’ai chroniqué le dernier roman de Patrick deWitt, une très belle histoire de fiction et d’introversion (L’homme qui aimait les livres, Actes Sud, traduit par Philippe et Emmanuelle Aronson), j’ai aussi parlé de PMA avec Louison pour la sortie de son livre Et le bébé alors ??? aux éditions Flammarion et j’ai chroniqué le très beau Feu la soif de María Sánchez (paru aux éditions Rivages, traduit par Alexandra Carrasco). J’ai aussi écrit un papier sur la violence des femmes à travers trois très bons romans, À la guerre d’Elisa Bories (dont je vous ai déjà parlé), Dios et Florida d’Ivy Pochoda et Obéissantes et Assassines de Sarah Bernstein. Vous pouvez le lire par ici !
À voir / à lire / à écouter :
📚 Pour préparer ma critique du roman de Patrick deWitt j’ai lu un portrait de l’auteur par la journaliste du Guardian Susanna Rustin (je suis en général assez férue de leurs portraits d’auteurices), et j’ai particulièrement aimé ce qu’il dit sur les auteurices qui négligent leurs intrigues : “Certain writers look down their noses at plot and I think I might have been one of them until I tried it, but The Sisters Brothers changed me as a writer. I’m now operating with two goals in mind. One is to make a document that is beautifully constructed on a sense and word level, but I’m also interested in the compulsion to turn a page, to see what happens next. If these two things come together, that’s the ideal for me as a reader, so that’s what I’m shooting for.” Vous pouvez lire l’intégralité du portrait ici !
🔥 Le mois dernier je vous avais dit beaucoup de bien du premier roman d’Elisa Bories, À la guerre, paru aux éditions de l’Ogre. Sa rage et sa façon de mélanger les genres m’ont beaucoup intéressée (on en a parlé lors de la rencontre organisée par le Gospel autour de Seul l’océan pour me sauver de Samantha Hunt, de ces fictions qui mélangent les genres et de tout ce que cette porosité littéraire peut produire de passionnant). Bref j’ai aimé l’écouter au micro de Sylvie Tanette pour la RTS. À écouter là !
✍️ Je lis assidument le journal d’écriture de Coline Pierré (toujours plein de vulnérabilité, d’honnêteté), qui prend depuis quelques temps la forme d’une newsletter. J’ai adoré l’entrée écrire un livre brique par brique dans lequel elle raconte les coulisses de ses livres, la manière dont elle a l’impression de ne pas saisir le moment où elle les écrit. “Souvent, il y a comme un trou noir entre le moment où je me répète que je veux écrire, que je vais écrire, que je planifie d’écrire, celui où j’avance à pas de fourmi en rêvassant plus qu’en écrivant, et celui où le livre est écrit.” Ça m’a beaucoup parlé et fait du bien, puisque je tente moi-même d’avancer en ce moment sur mon prochain livre (et que le temps manque !). Vous pouvez la lire ici.
💖 Étant une grande amatrice de romcom, j’ai été très intéressée par cet article de Laure Dasinieres paru chez Slate : Arrêtons de mépriser la comédie romantique, c'est un joyeux outil de lutte sociale. L’article explore des pistes de réflexion pour se réapproprier et repolitiser ce genre souvent méprisé.
📪 Côté réflexions sur le journalisme, j’ai beaucoup aimé l’article de Marine Slavitch paru chez Médianes sur “Substack ou le mirage de l’indépendance”. Évidemment l’idée n’est pas de blâmer les gens qui vont sur Substack ou toutes les personnes qui se tournent vers les newsletters (je serais mal placée !) mais de réfléchir collectivement au fait que cela risque de faire advenir un nouveau modèle inégalitaire, qui va privilégier les plumes les plus connues. Et cela parle aussi évidemment du monopole de Substack. Bref si le sujet vous intéresse, l’article est une très bonne synthèse de tous les enjeux !

Vimala Pons dans “Le beau rôle” de Victor Rodenbach
En bref :
💖 J’ai rattrapé Le beau rôle de Victor Rodenbach avec Vimala Pons et William Lebghil, qui raconte l’histoire d’amour entre une metteuse en scène et un comédien. Leur couple explose en plein vol quand ce dernier décide de délaisser le théâtre pour tenter une carrière au cinéma. C’est un film que j’ai beaucoup aimé, qui m’a fait penser dans son écriture, son humour et sa finesse aux comédies de remariage des années 30/40 (telles que conceptualisées par Stanley Cavell) que j’aime tant. Le duo fonctionne d’ailleurs sur le même équilibre que des couples comme Cary Grant/Irene Dunne avec le même esprit slapstick. J’ai trouvé que c’était un très beau film sur l’ambition, l’idée de réussir sa vie, la culture populaire et puis sur le couple, évidemment.
🎶 J’ai été complètement happée par Scarborough de Luc Dagognet, paru en début d’année aux éditions Do, un très beau roman qui mêle lui aussi les genres littéraires avec beaucoup d’intelligence (et qui soigne son intrigue, Patrick deWitt approuverait !). Le narrateur est hanté par une chanson de Simon & Garfunkel qui l’entraîne au fil des pages dans la ville anglaise de Scarborough. C’est un roman riche en citations et en intertextualités, qui parle de la fiction, de ce que les histoires nous font, du folklore, de magie, d’un désir de s’échapper de sa vie. Et puis c’est un roman d’aventure comme je les aime, avec des sentiments et de l’humour. Il arrive même une petite bricole à Michel Sardou. Je serais vous je le mettrai dans ma valise pour les vacances !
💋 J’ai évidemment aimé Partir un jour d’Amélie Bonnin pour cause de grille de bingo remplie (romcom, comédie romantique). C’est un film qui m’a fait beaucoup de bien, comme le font toutes les bonnes comédies musicales et qui aborde les regrets, les crush, l’idée de réussite dans la vie (il y a une thématique ce mois-ci ?), le désir ou non de maternité, les relations père-fille. Je l’ai trouvé très plaisant et plein de délicatesse.
🌿 Quand je suis plongée dans des contextes qui me stressent un peu, j’ai tendance à me réfugier dans un album que je connais par cœur et qui pourra m’enrouler de ses bras bizarres. Quand je suis partie en résidence, j’ai donc beaucoup (rérérér)écouté Feels d’Animal Collective, et beaucoup écrit en écoutant en boucle Did You See the Words. Le rythme de la chanson collait pile à ce que j’écrivais, et le bruit du vent la complétait magnifiquement. Et donc je vous laisse avec cette chanson que j’adore.
On se revoit le mois prochain, passez un bon été !