Les nouvelles de juin

Où sont passées les lumières ?

Les nouvelles de juin

Garder la flamme de l’espoir allumée (Image du film “Nostalghia” de Tarkovski)

Je ne vais pas vous faire un dessin : le mois qui vient de s’écouler était horrible. La flamme de l’espoir est faible, j’essaie de souffler dessus avec toute la force de mon souffle. Je lis les analyses, je lis aussi et surtout les expériences qui ne sont pas les miennes. Pas celles des électeurices du RN défendu·es par certains auteurs blancs qui me font câbler mais celles des personnes qui seront les premières impactées par une bascule définitive à l’extrême droite.

Je m’étonne toujours de voir combien de personnes refusent de “mélanger” la culture et la politique (d’ailleurs ces derniers mois, j’ai systématiquement perdu des abonné·es quand je parlais de politique, du génocide à Gaza, de tout ce qui m’empêche de dormir la nuit). Comme si on pouvait séparer la politique et l’art, comme le jaune et le blanc des œufs pour une recette, quand les deux naissent du même souffle. La culture, les livres, les films, la musique ont cette capacité formidable à nous ouvrir aux expériences des autres, à cultiver l’empathie, à planter la graine de la colère (et la colère, j’ai payé cher en thérapie pour l’apprendre, peut être une émotion saine). C’est d’une banalité sans nom et pourtant le silence assourdissant du monde de la culture me donne l’impression qu’il faut encore le répéter sans cesse. Il n’y a rien à séparer.

Vraiment pas envie de vous parler d’autre chose aujourd’hui alors je vous le dis franchement : allez voter dimanche, faites une procuration, faites barrage au RN et votez pour le NFP si vous avez encore un·e candidat·e de gauche dans votre circonscription. J’envoie plein de pensées amicales à celleux qui angoissent, qui pleurent, qui hurlent dans des coussins.

Et comme je ne peux pas, malgré tout, m’empêcher de penser à des films, comme je ne peux pas m’empêcher de m’accrocher aux images, j’ai récemment gardé en tête ce long plan-séquence dans le Nostalghia de Tarkovski qui voit le personnage traverser une piscine vide avec une bougie qu’il doit maintenir allumée. Ces derniers mois, ces dernières années, ont beaucoup ressemblé à ça. À la traversée ce long paysage désolé, tentant de maintenir à tout prix la flamme en vie, les mains brûlées par la cire. À la fin des neuf minutes de cette scène magnifique, ça ne finit pas bien pour le personnage. Mais la lumière brille toujours au creux de ses mains.

Ce que j’ai fait en juin (à part crever d’angoisse) :

📚 Pour les Inrocks j’ai interviewé Phoebe Hadjimarkos Clarke qui a reçu le prix Inter du Livre Inter pour son merveilleux roman Aliène paru en janvier aux éditions du Sous-Sol. C’est une autrice passionnante qui porte une parole politique qui fait du bien en ce moment. À lire par là !

📖 J’ai aussi enquêté sur la manière dont les libraires s’engagent contre le RN selon le contexte régional/local. Ici !

✏️ Je vous partage aussi cette tribune d’acteurices du monde du livre que j’ai signée et qui appelle à voter NFP. Publiée sur l’excellent site Diacritik.

À voir / à lire / à écouter :

📚 Ce mois-ci j’ai beaucoup aimé lire la newsletter Constellations, notamment ce texte qui parle des liens entre littérature et politique, de l’arnaque du feel good et de la mainmise de Bolloré sur l’édition. Je vous conseille de vous abonner pour la lire régulièrement (et de suivre Laurette sur son compte Instagram qui est une mine de textes et ressources !).

📽 Je recommande aussi la lecture de cette interview de la réalisatrice Alice Diop par Rachid Laïreche parue dans Libération. Elle raconte notamment que, même en ayant travaillé sur la question du racisme et de l’histoire coloniale et en connaissant parfaitement le danger imminent du RN, elle a été “dévastée” par les résultats des européennes et l’annonce de la dissolution. “Il y a un éléphant dans la pièce et personne ne semble le voir. La question du racisme n’est pas clairement posée.

📚 J’ai aussi été très intéressée par l’interview de l’auteur italien Sandro Veronesi menée par ma consœur Sylvie Tanette, qui nous donne des nouvelles de Meloni, côté littérature et censure. Et ce n’est pas réjouissant.

🕯 Et enfin je vais citer une autrice dont je recommande beaucoup la lecture par ici, Jakuta Alikavazovic, qui a écrit un texte que je vous invite à lire dans lequel elle écrit notamment :

L’issue de secours, si on préfère se crever les yeux plutôt que de voir où elle se trouve, qu’est-ce que je peux y faire, moi ? Si l’idée de l’impôt sur la fortune paraît plus grave que celle de la ratonnade, je ne sais plus quoi dire. Je n’ai plus rien à dire.

Jakuta Alikavazovic

VOTEZ DIMANCHE !! (on peut pas citer Tarkovski à tous les coups hein)

En bref :

🎬 En ce moment sur Arte.tv vous pouvez regarder gratuitement le film de Vittorio de Sica Le jardin des Finzi-Contini qui raconte l’Italie fasciste par le biais d’une famille de la bourgeoisie juive qui voit tous ses droits lui être retirés un à un. Le père, jusqu’à l’horrible dénouement, croit qu’il sera épargné. C’est un film bouleversant (comme tous les film de de Sica, vraiment le roi pour me faire pleurer) qui montre vraiment la manière dont le fascisme détruit tout et dont les personnages s’en rendent compte au fur et à mesure selon leur niveau de privilège. De saison, donc.

📚 Pour préparer une interview avec Justin Torres (je vous embêterai à la rentrée avec son nouveau roman Blackouts, qui sort aux éditions de l’Olivier dans une traduction de Laetitia Devaux et qui est une merveille), j’ai rattrapé son roman Vie animale (même maison d’édition, même traductrice), paru il y a une dizaine d’années. C’est l’histoire de trois frères qui vivent dans une famille pauvre, dans un contexte parfois violent et toujours chaotique. Il est très court à lire et j’ai adoré l’urgence de la langue et tout ce que ça disait sur l’enfance, sur la liberté. La fin, qui inclut un coming out forcé, est très violente mais très percutante. Une petite reco lecture courte pour ces temps où la concentration est compliquée.

Et je voulais vous laisser avec cette chanson de Gérard Manset, qui est une de mes préférées au monde et qui me fait toujours du bien et du mal, comme le font toutes mes œuvres préférées. C’est une chanson qui parle de perdre la lumière et je trouve qu’elle est de saison.

Prenez soin de vous !