Les nouvelles de juillet

Screaming in the distant sea

Les nouvelles de juillet

Image du film “Vampire humaniste cherche suicidaire consentant” d’Ariane Louis-Seize

L'autre jour je parlais de Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d’Ariane Louis-Seize avec mon compagnon. Nous débrifions le film en faisant la vaisselle, comme à notre habitude. Il me disait qu'il trouvait quand même les films sur les vampires un peu chiants et je lui répondais que j'avais profondément aimé cette scène dans laquelle Sasha — la vampire humaniste du titre, incapable de tuer et donc de se nourrir — ramène chez elle Paul, un jeune garçon suicidaire prêt à se sacrifier pour la survie d’une inconnue et pour préserver son éthique (c’est un peu un film sur le véganisme mais ça ne sera pas l’objet de cette introduction, on se retrouve pour un prochain TED talk). Alors qu'il parcourt la collection de disque de Sasha, Paul lui demande ce qu'elle écouterait, elle, si elle savait qu'elle allait mourir. En guise de réponse, elle pose un disque sur la platine et joue "Emotions" de Brenda Lee, une ritournelle romantique comme seules les années 60 ont pu en produire. C'est une chanson qui parle de pleurer, d'un cœur brisé, de se souvenir de ce qu'on préfèrerait oublier. Pendant qu’iels l’écoutent, Sasha fait du playback en dessinant des arabesques discrètes avec le bout de ses doigts.

Mais toi, m'a dit O. en essuyant une assiette, tu aimes de toutes façons toutes les scènes de films qui impliquent de la musique. Bon oui, soit. Mais uniquement quand elles ont du sens. Et au cœur de cette histoire, qui raconte la rencontre de deux solitudes, la chanson de Brenda Lee est plus qu'une illustration ou qu'un gimmick rigolo. Comme dans toute bonne comédie musicale (ce que le film n’est pas, je précise), elle explique ce qu'aucun dialogue n'a su nous dire jusque-là. Sasha confesse par le biais de la voix de Brenda Lee que ses émotions sont peu compatibles avec le monde violent dans lequel elle vit. Cette scène nous montre à quel point la musique est un cadeau que l'on fait à l'autre, une manière unique et secrète de faire passer un message. Cryptique, comme le sont les sentiments. La chanson permet au garçon de comprendre une chose fondamentale sur Sasha qui serait sinon restée pour toujours dans l'ombre. Les notes deviennent les fils qui relient leurs intériorités. Alors oui, je crois bien que pour moi, il n'y a rien d'aussi beau que toutes ces petites vérités sur nous-mêmes que l’on cache dans nos morceaux préférés. Et qu'on partage parfois, timidement, comme le plus précieux des trésors dans ces moments où on décide, par exemple, de passer un de ses écouteurs à une fille pour lui jouer Perfect girl des Cure.

Peut-être que cette scène m'a suffi pour aimer ce joli premier film drôle et mélancolique, qui illustre cette histoire que j'aime qu'on me rabâche (surtout en ce moment) : comment on se trouve against all odds dans ce monde tout pourri et comment on réussit à s’aimer (d'un amour fraternel, sororal, amical, amoureux, whatevz). Et moi si je savais que j’allais mourir et bien je crois que je passerais Alison de Slowdive à fond les ballons.

Ce que j’ai fait en juillet :

🎉 Eh bien je suis très contente de vous annoncer que mon prochain livre sortira dans moins de deux mois (!). Il s'appelle "Le petit chat et moi", il sort le 19 septembre aux éditions Philippe Rey, et il raconte une histoire de chat et de deuil. C'est un livre très personnel, je crois que c’est le plus proche de ce que j'écris ici et là depuis des années. J'ai l'impression de jeter un morceau de cœur et de névroses dans le vaste monde ! Dans ce livre, il sera justement question des chansons qui relient nos cœurs comme autant de fils invisibles, des histoires qu'on se raconte pour ne pas penser à la mort et d'un petit chat merveilleux. J'espère qu'il vous plaira !

📚 Dans le numéro de juillet des Inrocks je vous explique pourquoi cet été je relirai Paul Auster (probablement du mytho car bon, la rentrée littéraire). Vous pouvez lire l’article en ligne par ici !

🎶 J’ai rattrapé le week-end dernier Tout est jazz ! de Lili Grün, qui est paru aux éditions du Typhon dans une traduction de Sylvaine Duclos. J’en ai dit deux mots !

Paulina Alexis et Lily Gladstone dans la série “Reservation Dogs”

À voir / à lire / à écouter :

❤️ J’ai déjà parlé ici de la série d’animation Samuel, visible gratuitement sur Arte. J’ai aimé lire le portrait qu’Alice Raybaud a tiré de sa créatrice Emilie Tronche dans Le Monde. Ça parle de rencontrer un succès inattendu, de feuilles Diddl, de fanfictions sur Justin Bieber et de tendresse.

🥒 Un de mes petits plaisirs de l’été c’est de lire la série de Marine Normand Le bar de la tour, qu’elle envoie tous les lundis matins dans sa newsletter Concombre. Elle y raconte son adolescence et ses premières amours d’été avec beaucoup d’humour et de tendresse. Toute ado des années 2000 avec une tendance à la fixation romantique s’y reconnaîtra pour sûr.

🎓 Si votre mémoire est aussi naze que la mienne (et je crois que deux Covid n’ont rien fait pour l’améliorer), je vous recommande la dernière newsletter de Pauline Mauroux sur “se construire un deuxième cerveau” (ça fait rêver un). Ça m’a donné plein d’idées pour gérer les différentes choses sur lesquelles je travaille en ce moment.

🎧 La semaine dernière, On the Beach de Neil Young a fêté ses cinquante ans. Les années passent et ce disque reste l’un de mes préférés, j’aime qu’il se termine sur vingt minutes des chansons les plus tristes jamais écrites. Je recommande de lire ce très beau texte de Joseph Burnett paru sur The Quietus qui retrace le contexte douloureux dans lequel l’album a été écrit. Et puis si vous avez envie de prolonger l’expérience je vous encourage aussi à écouter le morceau “Ambulance Blues”, simplement un chef d’œuvre.

💀 C’est un long read mais je vous conseille de vous plonger dans ce texte passionnant de l’artiste Quentin Lannes partagé sur Mastodon sur les bots mémoriels (un sujet qui me fascine autant qu’il m’angoisse).

Kim Novak dans The Legend of Lylah Clare de Robert Aldrich

En bref :

🎬 Intriguée par un post que j’ai vu passer sur Twitter, j’ai regardé le film The Legend of Lylah Clare (Le démon des femmes en VF, wtf) de Robert Aldrich. Un film qui mixe étrangement le Vertigo d’Hitchcock (on y retrouve Kim Novak dans un double rôle) avec la longue tradition des films-sur-Hollywood (j’ai beaucoup pensé à The Bad and the Beautiful, magnifique film de Vincente Minnelli mais aussi à All about Eve de Mankiewicz, il y a aussi une référence directe à Sunset Boulevard de Billy Wilder). The Legend of Lylah Clare est tout particulièrement cruel avec les réalisateurs “auteurs”, les producteurs cyniques et présente le cinéma comme une machine à broyer les femmes. C’est aussi un film qui a une esthétique camp très inattendue et intéressante. Et Kim Novak est fabuleuse mais ça c’est presque une évidence.

🕵️‍♂️ J’ai commencé à regarder Slow Horses sur AppleTV, une série d’espionnage très finement écrite, qui raconte l’histoire d’une bande d’agents du MI5 qui sont mis de côté après avoir merdé et se retrouvent au placard. La saison 1 s’intéresse à la traque d’un groupe de suprémacistes blancs donc c’est de saison. Et puis c’est la première fois que je vois une série d’espionnage avec autant de blagues sur les prouts (via le personnage de Gary Oldman), ça a le mérite d’être souligné et apprécié à sa juste valeur.

💘 J’ai déjà parlé de la très belle bande originale de la série Reservation Dogs (qui m’a fait pleurer plus d’une fois ces derniers temps, ça se rattrape sur Disney+ si vous ne la connaissez pas). J’y ai notamment découvert Black Belt Eagle Scout et son magnifique album The Land, The Water, The Sky qui tourne en boucle dans mes oreilles. C’est un très beau disque, très ample et doux. J’ai aussi beaucoup écouté le dernier album de Sufjan Stevens Javelin qui traverse les mois avec moi et est devenu un fidèle compagnon d’écriture et de route.

🎮 Je suis allée au cinéma pour voir Eat the night de Caroline Poggi et Jonathan Vinel. Il fait partie de ces films qui contiennent un film que j’adore et un film que j’aime moins. Le film que j’adore est une histoire d’amour qui raconte la manière dont on se construit des univers bis dans le jeu vidéo et la fiction et qui contient (c’est la thématique de juillet apparemment) une scène magnifique de compréhension mutuelle autour d’une chanson. Le film que j’aime moins est une histoire de trafic de drogues à la française. Malgré tout je trouve qu’il mérite le coup d’œil ! (à voir en parallèle de Knit’s Island, autre grand film sur les jeux vidéos sorti cette année, plus radical dans son geste)

Et je vous laisse avec un extrait de Tout est jazz ! de Lili Grün, traduit par Sylvaine Duclos.

On se retrouve en août !

Elli est prête à lui offrir son amitié, à lui accorder sa confiance, à lui apporter du réconfort. Hedwig le sent et quelque chose s'ouvre en elle. Ses tensions cèdent. Elle articule quelques mots gentils. Trébuche un peu sur eux. Ça ne rebute pas Elli. Au contraire, elle est aux anges. Avec tact et sans bruit, elle a réussi à briser une solitude. Elle s'attend à découvrir un monde nouveau, car chaque nouvel être qui débarque ouvre une porte sur un paysage inconnu. Et ce paysage-là la fait rêver.