Les nouvelles de juillet

Do you miss the time at all ?

Ce mois-ci j’ai regardé Aprile de Nanni Moretti. Le film est une sorte de journal de bord d’un réalisateur en crise qui hésite entre faire un documentaire sur la victoire de Berlusconi aux élection parlementaires de 1994 ou réaliser une comédie musicale. Il commence un tournage puis l’arrête, il accumule des couvertures de journaux et de magazines jusqu’à en recouvrir le sol de son appartement. Il essaie de rendre tangible ce sentiment d’horreur qui l’habite. Il essaie de mettre en mots ce que ça fait de voir son pays sombrer. Ce film m’a fait beaucoup de bien parce que quand je regarde par-dessus mon épaule pour contempler le mois de juin, la colère embrase tous les souvenirs. Ce film est venu en dire quelque chose.

Dans Aprile, Nanni Moretti se montre hésitant, il ne sait pas vraiment comment profiter des moments avec son fils, comment devenir un père dans une société qui lui donne envie de se taper la tête contre les murs. Alors il s’énerve tout seul en voiture (ce qui est ma spécialité personnelle — je choisis personnellement d’engueuler les SUV, ça fait toujours du bien), il va provoquer des amis juste pour le plaisir d’en découdre et il s’imagine à Hyde Park, debout sur une chaise, lisant toutes les lettres écrites mais jamais envoyées aux différents politiques de gauche qui l’ont déçu.

Plus le temps passe et plus ma colère brûle longtemps et fort. Plus j’essaie, aussi, de ne pas passer à autre chose. D’entretenir le feu.

Je ne suis pas Nanni Moretti et je ne sais donc pas bien ce qu’il faut faire de cette colère, mais je sais qu’il ne faut pas faire silence, pas passer à autre chose, pas laisser le cycle d’infos nous ensevelir et forcer nos têtes à s’enfoncer dans le sable. Je sais qu’il ne faut pas idéaliser la culture non plus, pas la placer au-dessus du reste, pas pleurer les vitrines des bibliothèques plus que les existences qu’elles contiennent, qu’il ne faut jamais oublier que les livres sont écrits par des humains et que c’est leur vie qu’il faut protéger, pas les mots qu’ils ont imprimé sur du papier. J’écris ça ici pour ne pas l’oublier.

Et sur ce, les petites reco I guess ?

Ce que j’ai fait en juillet :

📚 Pour les Inrocks, j’ai écrit une critique de Sirène debout - Ovide rechanté de Nina MacLaughlin paru aux éditions la Volte dans une traduction de luvan. L’article est dispo dans le numéro spécial sexe de juillet et en ligne. J’ai beaucoup aimé ce livre qui réécrit Ovide du point de vue des victimes. Sirène debout est très réussi sur le plan formel, c’est un vrai dialogue avec le matériel original qui dit beaucoup sur la manière dont les mythes continuent à exister dans le temps, dont on peut les actualiser sans cesse. Ça raconte ce fantastique matériau vivant de la fiction.

🧵 Je sors d’une semaine de stage de broderie à Quimper, bon timing pour vous parler du petit zine que j’ai écrit sur le sujet pour les micro-éditions Café Internet (j’avais dit quelques mots sur leur premier bouquet de zines il y a quelques temps). On peut le télécharger en ligne par ici ou l’acheter via paypal en suivant ce lien. N’hésitez pas à me dire si vous le lisez :)

📹 La dernière saison du Arte Book Club est sortie — j’ai participé à l’écriture des épisodes en début d’année. On peut la visionner par ici !

À voir / à lire / à écouter :

📝 Je vous recommande fortement la lecture du texte de l’autrice Diaty Diallo publié dans Manifesto XXI. Il parle de la mort de Nahel et des émeutes mais surtout de la pression que l’on fait peser sur les auteurices racisé·es en venant les chercher dès qu’un événement tragique se passe. C’est une réflexion qu’il me semble important de prendre en compte, notamment quand on est journaliste en culture et blanc·he.

📚 Dans la catégorie long read, j’ai beaucoup aimé ce papier très dense et intéressant publié sur Zist et qui retrace une histoire de l’afrofuturisme (ou plutôt des afrofuturismes). À lire par ici ! 

🎧 J’ai aussi écouté la très belle série documentaire Qui a peur d’Angela Davis sur France Culture (de Sébastien Thème, réalisée par Diphy Mariani). C’est vraiment passionnant j’ai appris énormément (sur Davis mais pas que) et il y a notamment une réflexion sous-jacente sur la violence qui est parfaitement d’actualité.

🗞 Je recommande fortement la lecture de cette interview de Lio dans Libération, publiée à l’occasion des vingt ans de la mort de son amie Marie Trintignant. Elle raconte notamment les manières dont on lui a fait payer son féminisme et ses nombreuses prises de parole sur le sujet.

🥴 J’ai beaucoup aimé cet article de Lithub sur la littérature jeunesse qui devrait, selon l’autrice, rester bizarre et ne pas trop se conformer aux goûts un peu lisses des parents. Une réflexion très stimulante sur le sujet ! Ça m’a donné envie d’écrire des histoires chelou.

💅 Enfin j’ai beaucoup aimé cette interview de Greta Gerwig (merci Maeva de me l’avoir envoyée !) dans laquelle elle raconte avoir joué bien trop tard avec ses poupées (je me suis sentie moins seule) — sa sincérité me touche toujours. Je n’écrirai pas sur Barbie parce que je n’ai rien de bien intéressant à dire sur le sujet. Mais rien que pour la blague sur les mecs qui aiment Pavement, ce film a une place particulière dans mon cœur.

En bref :

⚾️ Toujours très en avance sur mon temps, je regarde en ce moment la version série de A league of their own créée par Abbi Jacobson. Je ne l’avais pas regardée l’année dernière parce qu’après la sortie de mon livre j’avais peur d’avoir le #fomo. Mais c’est vraiment super, bravo Abbi je t’aime. Et c’est assez feel good — sans pour autant passer les problèmes sous le tapis — parfait donc pour cet été moisi.

📚 J’ai lu récemment l’ouvrage collectif Pédés coordonné par Florent Manelli. Je l’ai acheté parce que plusieurs textes étaient signés par des auteurs / journalistes dont j’aime beaucoup le travail (Anthony Vincent, Nanténé Traoré, Camille Desombre/Matthieu Foucher notamment) et j’étais très contente d’en découvrir d’autres. J’ai absolument adoré cet ouvrage, il m’a ouvert mille pistes de réflexion. Sur les masculinités, mais pas que — sur la transidentité, les rapports de classe et de race. Il y a quelque chose de politique mais aussi de profondément sensible dans tous ces textes qui sont tous formidablement bien écrits. À lire !

🎧 Je recommande la playlist de Julien Ledru qui rassemble près de 70 titres de fingerpicking et qui est très belle, ça s’écoute sur Spotify ! J’en profite pour vous dire de précommander son nouveau disque sur Bandcamp !

Je vous laisse avec cette petite preview de l’une des merveilles à paraître aux éditions Globe à la rentrée littéraire, L’invincible été de Liliana de Cristina Rivera Garza traduit par Lise Belperron (il faudra lire ce livre, promettez-le moi !) :

Reconstituer les derniers mois de la vie de Liliana n’est pas une tâche facile. Outre la jeune fille intelligente et lumineuse, l’amie de confiance, parfois protectrice, la pipelette rigolote qui savait guérir et blesser avec les mots ; outre l’étudiante qui se passionnait de plus en plus pour son champ d’études ; la perspicace, comme l’a décrite un de ses amis, la charismatique, la leader ; outre la femme qui croyait de plus en plus en elle, il y avait aussi la Liliana qui fouillait en vain le monde pour nommer la violence à ses trousses.

En vous souhaitant un beau mois d’août ! On s’accroche !