Les nouvelles de février

Did I dream you dreamed about me

Les nouvelles de février

Sam et Joel au bar dans la série “Somebody Somewhere”

Il y a quelques jours, j'ai fini de lire un roman que j'ai beaucoup aimé. Je l'ai aimé pour son contexte historique, pour son écriture, pour sa mélancolie mais surtout pour son personnage principal : une actrice pétrie d'incertitudes et de doutes. Elle est parfois égoïste, parfois insensible, parfois franchement agaçante, toujours humaine trop humaine. Bien que je n'utilise plus Goodreads depuis un petit moment, je continue à aller lire les critiques négatives des romans que j'aime — un petit acte de masochisme que je ne m'explique pas. J'ai été surprise de voir que la plupart des lecteurices qui notaient mal le livre le faisaient parce qu’iels trouvaient le personnage unlikable, donc mal aimable (ou difficile à aimer). À la grande époque de la diffusion sur Netflix de Bojack Horseman, une série dans laquelle je jetais toutes mes émotions comme toute millennial qui se respecte, beaucoup de personnes reprochaient au personnage de Diane Nguyen d'être mal aimable. Elle aussi était trop égoïste, trop agaçante, trop pédante, pétrie de contradictions etc etc. Or qui a deux pouces et se reconnaissait un peu trop dans le personnage de Diane Nguyen, autrice contrariée et névrosée ? Je vous laisse deviner.

Heureusement, me disais-je en lisant ces critiques sur Goodreads, que les personnages de fiction — féminins, puisque c’est de cela qu’il s’agit ici — peuvent être mal aimables. Ce mois-ci, j'ai regardé la dernière saison de Somebody Somewhere, une magnifique série assez sous-côtée qui se passe dans une Amérique rurale peu montrée à l'écran. Le personnage principal, Sam, est pleine de défaut et c'est pour cette raison précise qu'elle est si bien écrite. Les deux premières saisons mettaient en scène la naissance de son amitié avec Joel. Dans la troisième saison, ce dernier est en couple et Sam se sent mise de côté. En elle cohabitent sa joie pour son ami et une forme de tristesse, de peur de l’abandon. Ses réactions sont parfois over the top, parfois incompréhensibles, toujours pleine de failles. Il y a deux scènes qui m'ont fait pleurer dans cette saison. Quand Sam chante une chanson pour Joel, de la part de son compagnon. Mille émotions contradictoires et puissantes passent dans sa voix et dans son regard. Et puis quand, plus tard, Joel va voir Sam au bar dans lequel elle travaille et que l’on sent le poids des non-dits alourdir leurs conversations.

Alors, certes, Sam est un personnage flamboyant, drôle mais aussi un peu peu mal aimable, difficile. Dans ces deux scènes, j'ai vu le reflet d’états très particuliers que j'avais traversé en déménageant en Bretagne et j'ai retrouvé tous ces moments où j'avais moi-même été injuste, nulle et un peu aigrie — étant un personnage complexe et parfois mal aimable de la vraie vie. Et cette série m'a semblé être un portrait d’une justesse rare de l'amitié à l'âge adulte. Où il faut composer avec la distance, le couple, le capitalisme, le temps qui continue sa course toujours plus rapidement. Et j'aime ça, moi, me lover tout contre ces personnages difficiles à aimer, c'est même l'endroit de la fiction que je préfère. Pas celui qui me demande de m'améliorer et d'être une meuf badass mais celui qui m'explique qu'on a toutes le droit de merder.

Ce que j’ai fait en février :

🎧 Non pas un mais deux (deux !) épisodes du podcast que j’ai lancé à la rentrée dernière avec Ambre Sachet sont sortis depuis la dernière newsletter ! Dans l’épisode 4 on parle de Babygirl d’Halina Reijn et du roman étrange et entêtant d’Ariane Jousse Terreur (éditions de l’Ogre). Et dans l’épisode 5 on discute autour des César, de pourquoi je continue à regarder chaque année, des coups de cœur de chacune et on parle de certains courts-métrages nommés (réalisés par des femmes). Très contente d’avoir pu name dropper I Saw the TV Glow, ça devient un peu mon side job.

📚 Pour les Inrocks j’ai chroniqué le magnifique roman de Julia Armfield Cérémonie d’orage (paru aux éditions La Croisée, traduit par Laëtitia Devaux et Laure Jouanneau-Lopez) et le beau premier roman de Céline Bagault Ici commence mon père, paru aux éditions de l’Olivier.

💖 Deux très chouettes revues auxquelles j’ai participé sont sorties ce mois-ci : le périodique littéraire Fragments auquel j’ai confié un texte sur mon adolescence, Moulin Rouge et ma passion pour la comédie musicale et que vous pouvez acheter en ligne par ici et le numéro 1 de la revue de cinéma Amateur·e pour laquelle j’ai écrit sur Vincente Minnelli, Barbara Loden et la rivalité féminine à Hollywood, on la commande par là. Les deux sont super donc si vous avez des sous, n’hésitez pas !

À voir / à lire / à écouter :

📚 J’ai absolument adoré l’épisode du Book Club de Marie Richeux sur l’œuvre de Dorothy Allison avec les éditrices Lucile Dumont et Isabelle Cambourakis. C’est une conversation très riche et dense sur la vie et l’œuvre de l’autrice américaine, et sur la manière dont les deux dialoguent.

📒 Comme j’ouvrais cette newsletter en parlant de Goodreads, si vous cherchez une alternative qui n’appartient pas à Amazon, vous pouvez migrer vers StoryGraph et même lire l’histoire de sa fondatrice Nadia Odunayo par ici (personnellement j’ai juste ouvert un fichier où je note les livres que je lis, ce qui est aussi une option).

👩‍💻 J’ai souvent des pensées parfaitement inintéressantes et désarticulées sur les réseaux sociaux, ma présence en ligne, pourquoi je consulte tous les nouveaux réseaux sans avoir forcément envie d’y participer sauf pour une autopromo un peu désincarnée. Rien ne sort jamais de ces vagues débuts de réflexion. J’ai beaucoup aimé regarder la vidéo de Mina Le titrée why is social media not fun anymore ? Elle dresse une histoire intéressante de l’évolution de nos présences en ligne (même si la mienne a commencé avec MySpace - tbt le top ami - et pas Tumblr). Ça parle d’influence, d’ironie, de meme, de ce que les réseaux font de notre attention et de nos cerveaux, sans être une leçon de morale. Bref ça a mis des mots sur des choses que je ne sais pas trop formuler et ça se regarde par ici ! En complément je vous recommande le papier de Janus Rose “You Can’t Post Your Way Out of Fascism.

🙃 Dans sa vidéo, Mina Le cite cette autre vidéo de the Cozy Kino sur la disparition de la sincérité à Hollywood au profit d’un second degré auto-référentiel et hyper fatiguant. Je ne suis pas forcément d’accord avec tout mais ça m’a fait du bien de la regarder. Par là !

🥛 En complément de ces deux vidéos, je recommande la lecture de ce texte de Priyanka Mattoo “How Babygirl Can Fix Film que j’ai trouvé passionnant et qui se pose la question du marketing autour du film et de ce qu’on a envie de voir en 2025 (et ça rejoint de ce que dit la vidéo de Cozy Kino : on veut de la sincérité, même si ça peut sonner cheesy).

🎧 Je me souviens d’avoir lu un article au moment de la diffusion de The Bear qui qualifiait Wilco de groupe de “dad rock”, je pense qu’il y a eu un avant et un après dans la perception que j’avais de moi-même et de mes goûts musicaux. Bref, Wilco reste un de mes groupes préférés et on a fêté les vingt ans (vingt ans !) de A Ghost Is Born, l’album qui m’a fait tomber amoureuse de leur musique (j’étais allée emprunter le disque à la médiathèque parce que mon crush de l’époque m’en avait parlé, mais sachez que si les crush passent, les disques eux restent) et devenir une personne qui aime du dad rock. J’ai apprécié la lecture de cet article de Zacharie Boisseau (partagé sur Mastodon) sur Section 26. See you en juin Jeff Tweedy.

🌳 Reporterre a demandé à l’autrice Corinne Morel-Darleux “comment résister ?” et voilà une partie de sa réponse : “En fait, curieusement, plus le monde va mal, plus j’y perçois des éclats de beauté à préserver et plus je veux redoubler d’élan et de gaieté, comme s’il me fallait tenter de compenser avec mes modestes forces toute la laideur du monde.

📽 Je vous recommande fortement la lecture de l’article de Lauriane L’insoutenable légèreté d’Emilia Pérez paru sur son site Lesbien Raisonnable et dans lequel elle donne la parole à Daisy Letourneur et Ana Mendoza Aldana sur la représentation de la transidentité et du Mexique.

Image du film “The Goodbye Girl” d’Herbert Ross (1977)

En bref :

💖 En ce moment Criterion propose un temps fort autour des histoires d’amour qui se passent à New York, une curation incroyablement Pauline Lewis-core if you ask me. Cela m’a permis de voir le deuxième film de Claudia Weill It's My Turn que j’ai plutôt aimé malgré son scénario par endroits un peu bancal. Mais j’ai surtout regardé The Goodbye Girl d’Herbert Ross, qui raconte une histoire d’amour entre une danseuse en fin de carrière et un comédien qui rêve de percer en jouant Richard III. Certaines choses ont assez mal vieilli mais j’ai tout de même été séduite par cette histoire douce-amère sur l’ambition et l’échec et sur ce que l’amour peut ou ne peut pas réparer. Et j’ai aimé que chacun·e puisse exister dans cette histoire par lui-elle-même et pas seulement dans son rapport à l’autre. Bref, si vous cherchez un peu de feel good pas niais, go for it.

🛏 Toujours dans la catégorie feel good je recommande le court métrage Queen Size d’Avril Besson avec India Hair et Raya Martigny (il est disponible gratuitement sur Canal+ en ce moment), l’histoire d’une amitié/amour (ce n’est pas vraiment défini et c’est aussi ce que j’aime dans le film) qui naît le temps d’une journée autour de la vente d’un matelas sur le bon coin. ça capture ces petits moments de gêne teintés de douceur que l’on peut ressentir quand on rencontre une personne avec qui on sent qu’on va bien s’entendre. (Peut-être que vous n’êtes pas introverti·e et n’avez donc aucune idée de quoi je parle)

🌊 Je n’ai pas été franchement emballée par la rentrée littéraire de janvier côté français, donc j’ai été ravie d’avoir un coup de cœur pour le premier roman de Nelly Slim Entre ici et avant il y a la mer qui est paru en février aux éditions Hystériques & AssociéEs. Ça raconte l’histoire d’une jeune femme qui quitte sa Tunisie natale pour faire ses études à Paris. Tout le roman est celui d’une oscillation entre deux rives, entre deux amours, entre le passé et le présent. Nelly Slim raconte l’arrivée de son personnage à Paris dans les milieux queer et militants, son lesbianisme qui peut enfin s’exprimer, ses amitiés mais aussi une forme de nostalgie qui ne la quitte pas. Ça raconte un sentiment de ne jamais être à sa place et de devoir s’adapter sans cesse. C’est une très belle découverte et j’ai vraiment envie de lire plus de romans comme celui-là.

🔥 Parfois je rencontre des artistes très sympas qui m’envoient leurs livres, c’est l’un des aspects cool de ce métier. J’ai été plus que ravie de découvrir de cette manière la BD Ils brûlent - cendre et rivière d’Aniss El Hamouri (parue aux éditions 6 Pieds sous terre) qui est le premier tome d’une trilogie et trace l’itinéraire de trois personnages mystérieux dans un monde médiéval violent et sombre. J’ai été complètement happée par cette histoire que je n’ai pas réussi à lâcher (aussi parce que les dessins sont si beaux) et qui parle de différence, de marginalité, de la violence et de sa légitimité, de confiance aussi et de pouvoir. Il y a quelque chose au cœur de la BD qui m’a aussi beaucoup émue sur l’enfance et sur ces enfants qui grandissent dans un univers violent et à qui on refuse l’innocence. Ça se joue dans le dessin qui change légèrement les héro·ïnes selon le personnage qui les regarde et dans l’humour qui perce par endroits. Ils brûlent fait un peu écho à ce que je disais en préambule parce que les trois personnages sont très complexes et bien écrits, parfois mal aimables (c’est ce que la violence leur fait) mais que je serais allée au bout du monde pour elleux en refermant la BD. Et ça tombe bien car un tome 2 arrive !

🎶 J’ai beaucoup écouté Here in the pitch le dernier album de Jessica Pratt ce mois-ci. Il est sorti l’année dernière mais il a fallu apparemment quelques mois pour qu’il arrive à mes oreilles alors que Life is est mon nouveau tube. Une chanson qui n’aurait pas détonné dans un film de David Lynch à mon humble avis.

Et ce mois-ci j’ai écouté en boucle la reprise de Song to the Siren de Tim Buckley par This Mortal Coil (qui a justement été utilisée dans un film de David Lynch, la boucle est bouclée), qui sera la conclusion de cette longue newsletter.

Prenez soin de vous et see you en mars !