Les nouvelles de décembre

My only talent is that I love this little world

Au début de Fanny et Alexandre d'Ingmar Bergman, le père de la famille Ekdahl réunit autour de lui sa troupe de théâtre à la fin de la représentation annuelle de leur pièce sur la natalité. À bout de souffle, visiblement ému, entouré de ceux et celles qu'il aime, il raconte. "Mon seul talent (…) c'est d'aimer ce petit monde niché entre les murs épais du théâtre. J'aime les gens qui travaillent dans ce petit monde. Parfois, le petit monde réussit à ressembler au vrai monde. Et il nous aide soit à mieux le comprendre, soit à l'oublier."

J'ai évidemment pensé à Fanny et Alexandre qui est, à bien des égards, l'une des œuvres qui m'aide à comprendre toutes les autres, en voyant Armageddon Time de James Gray. J’y ai pensé parce que le film est autobiographique (comme Fanny et Alexandre), parce qu’il pose la question de la manière dont on raconte le passé, mais aussi à un niveau plus personnel parce qu’il reproduit, presque au détail près [et c’est un petit spoiler du film donc passez deux/trois lignes si vous ne voulez rien savoir], la dernière fois que j’ai vu mon grand-père à l'hôpital. De la posture de la mère aux paroles de la grand-mère, en passant par la sidération du petit-fils qui découvre là un secret douloureux sur la vie. J’ai éprouvé au plus profond de moi, comme à chaque fois que je repense au film de Bergman, la manière dont nos histoires individuelles forment un canevas collectif. Ce souvenir ravivé à l’écran était si lointain et pourtant tellement vif, que les larmes ont coulé jusqu'à tremper intégralement mon masque. Et soudainement, je n'arrivais plus à respirer devant un récit aussi sincère sur les souvenirs, sur le flou moral de l'enfance, sur la famille. Revoyant Fanny et Alexandre ces jours-ci, j'ai aussi eu l'impression d'y revoir le fantôme de ma grand-mère, comme si l'écran ouvrait autant de portes vers le passé, autant de rêves impossibles. Et comme le disait le père d'Alexandre, j’ai compris encore une fois à quel point le cinéma m'aide à tenir le monde éloigné et à m'y ancrer, plus fortement que jamais. Le petit monde, et le grand.

Novembre s'évapore alors il reste à accueillir décembre, le premier Noël sans voir ma grand-mère, le deuxième anniversaire qui ne me permettra pas de réunir mes ami·es so far away from me. Pourtant pendant cette période le temps, pour moi, se suspend toujours étrangement (même si je gagne au passage une année). Elle me rend toutes les fictions que j'ai, au fil du temps, pliées et dépliées, sous la forme de guirlandes lumineuses et de gâteaux surmontés de bougies. Et je me sens soudainement comme Alexandre découvrant douloureusement, en écoutant son père parler, à quel point les fictions sont capables de suspendre l'instant présent sans réussir à empêcher le futur de frapper à la porte.

Ce que j’ai fait en octobre :

📚 Parce que j’en avais envie, j’ai fait un petit article feel good sur mon blog. J’y ai notamment parlé de Broadway Limited de Malika Ferdjoukh (paru aux éditions L’école des loisirs), dont j’entame le tome 3 et qui m’emplit d’une joie absolue. J’ai failli rater mon arrêt de tram à cause d’un cameo inattendu de Fred Astaire dans le tome 2.

🎶 Sur mon autre blog (i know) j’ai fait une petite playlist d’automne et écrit un petit texte sur les voyages et l’amitié.

👯‍♀️ Et l’émission à laquelle j’ai participé sur la RTS, Question Genre, animée par Christine Gonzalez est désormais disponible en podcast par ici !

🎄 Si vous ne savez pas quoi offrir pour Noël, sachez que mon livre est toujours en vente un peu partout (par exemple dans vos librairies préférées !) et qu’il reste des zines chez Maison Cosmo, comme ça vous aurez de belles affiches de the one and only Barbusse Buro à afficher dans vos salons et des petits textes de moi imprimés sur de jolis petits livrets. Allez, c’est fini pour la réclame !!

À voir / à lire / à écouter :

🎬 Comme je le disais en introduction de cette newsletter, j’ai vraiment été bouleversée par Armageddon Time. Je vous conseille la belle interview de James Gray par Sandra Onana. Il est question de Proust (évidemment), de fantômes, de dissonance cognitive. À lire par ici !

🐟 C’est un sujet qui m’intéresse beaucoup, j’ai donc été très sensible à ce passionnant entretien avec la sociologue et autrice Kaoutar Harchi mené par le podcast antispéciste Comme un poisson dans l’eau. Elle y réfléchit aux liens entre spécisme et racisme, et ça ouvre vraiment beaucoup de pistes de réflexion.

💁‍♀️ Via Anne-Lise qui me l’a partagé sur Twitter, j’ai adoré cet article du New York Times sur la sortie du Live at the Bon Soir, enregistré au début de sa carrière. L’article raconte à quel point elle était, en 1962, en décalage total avec la mode et la musique de l’époque. L’article retrace à la fois son itinéraire incroyable mais aussi la beauté de ce disque dans lequel on trouve déjà son humour, sa puissance vocale et l’émotion incroyable de ses interprétations.

🎤 Dans un peu plus d’une semaine je serai au ciné-karaoké West Side Story au Grand Rex à chanter Mariaaaaaa donc pour me préparer j’ai regardé ce chouette documentaire sur Arte sur WSS, qui se concentre surtout sur la musique de Bernstein. Étrange de se dire qu’il a longtemps été triste d’être connu surtout pour la musique de cette comédie musicale (alors qu’il a composé des symphonies par la suite), une œuvre qui continue à aider des gens (=moi) à vivre au quotidien. Mes dimanches à cuisiner et à chanter Tonight à tue-tête te remercient pour l’éternité, Leonard.

En bref :

📖 Son passage à la librairie Dialogues à Brest a été l’occasion pour moi de me plonger enfin dans Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon, qui fait partie de la collection Ma nuit au musée des éditions Stock. L’écrivaine a passé une nuit au musée Anne Frank et elle en a tiré un livre qui parle d’écriture, de fantômes (encore), d’héritage. C’est un livre de rencontres — celles que l’autrice fait avec son passé, avec les personnes qu’elle croise en faisant ses recherches, avec l’écriture, avec Anne et Margot Frank. Vraiment une lecture magnifique que je vous conseille à l’infini. (et quand le titre du livre apparaît, c’est comme une déflagration)

🤔 Pourquoi est-ce que j’aime les films auxquels je ne comprends pas grand chose ? Aucune idée, mais le film 3 Women de Robert Altman avec Shelley Duvall et Sissy Spacek m’a complètement fascinée même si je serais bien incapable de vous donner la moindre clé de lecture.

🍂 Tuca and Bertie, l’une de mes séries préférées, a encore été annulée. Cette saison 3 qui est pourtant incroyable de drôlerie, d’intelligence et d’inventivité, sera donc la dernière. Quelle tristesse ! Hier encore je regardais un épisode incroyable sur les injonctions de la société à être productifs, même dans nos hobbies. Il est encore temps de la découvrir !!

💖 Saviez-vous que le meilleur groupe au monde était de retour ? Oui, il y a bien une nouvelle chanson de Yo La Tengo et elle est, en toute objectivité, vraiment géniale. Elle s’appelle Fallout et elle arrive à point nommé dans ce monde absurde (I’d turn away, if only I could). Un peu de baume au cœur grâce à la voix de velours d’Ira Kaplan (heureusement qu’il ne lira jamais ça). On écoute !!!

Et je vous laisse avec Lola Lafon qui écrit dans Quand tu écouteras cette chanson (éditions Stock) :

On construira des maisons, on donnera naissance à un jardin, à des enfants, on apprendra les mots nouveaux de langues étrangères, on gravira des montagnes, on surfera des vagues, on apprendre à danser ou à faire des gâteaux, on se mettra à nu, on se frottera à l’amour. Certains vont à la rencontre de leur vie, ils s’en saisissent, d’autres se tiennent légèrement de biais : ils l’écrivent.

Bon mois de décembre (moi je serai sous mon plaid à écouter Rufus Wainwright, oui cette chanson est problématique laissez-moi), peut-être que la prochaine newsletter aura du retard pour cause de digestion/de vacances/de flemme. Je vous dis donc………à l’année prochaine……..