Les nouvelles d'octobre

Which of the good old days were actually good ?

Les nouvelles d’octobre

“Starman” de John Carpenter (ou : moi à 18 ans découvrant l’effet “reverb” dans GarageBand)

Il y a quelques temps je suis retombée sur un dossier sur mon ordinateur comprenant l'intégralité de ma "production" musicale, amassée pendant ma vingtaine. Comme j'avais décidé récemment de m'y remettre avec une amie, j'y ai jeté une oreille curieuse. Il y avait ces reprises que j'enregistrais dans ma chambre sur GarageBand en utilisant une guitare, un ukulélé, un œuf maracas et beaucoup trop de réverb (je me souviens encore de ce jour où j'ai découvert l’effet réverbération et où je me suis dit "mais tout sonne beaucoup mieux c'est incroyable on va pousser ce bouton au max" — j'imagine que c'est comme ça qu'est né le shoegaze), les enregistrements live de mon groupe (et de son pendant "riot grrrl", qui n'a pas duré longtemps), les poésies d'Emily Dickinson que je mettais en musique sans aucune honte pour procrastiner mon mémoire de littérature américaine et bien sûr les enregistrements du groupe parodico-lo-fi monté le temps d'un week-end à Clohars-Fouesnant avec ma bff.

Je suis restée écouter ça avec une forme de nostalgie, pas vraiment pour ce passé révolu — j'ai trouvé la trentaine bien plus joyeuse que ce début de vingtaine un peu paumée dont je distingue les échos dans ma voix d'alors — mais bien pour ce petit quelque chose que j'avais alors et que j'ai, je crois, perdu depuis : un désir de faire pour faire, de produire et de montrer vite sans vraiment me préoccuper du résultat. C'est ce qui reste pour moi aujourd'hui quand je réécoute tous ces morceaux bricolés à la va-vite, une forme d'insouciance, de geste rapide et sincère, sans intermédiaire. Et le souvenir d'une époque où la musique (les compil’ personnalisées, les reprises mélancoliques) était ma seule manière de m'exprimer et d'aller vers le monde. Chaque émotion avait sa chanson et je la tendais aux autres fébrilement, persuadée que le message allait être reçu loud and clear. Spoiler si vous me lisez et que vous avez vingt ans : c'est rarement le cas (malheureusement je viens du futur pour vous dire que parler est plus efficace que d’assembler dix chansons aux messages cryptiques, c’est nul je sais).

Je suis un peu nostalgique de ce continuum d'alors entre l'idée, sa réalisation et son partage, de ce geste assez fluide. C’est ce après quoi j'ai continué de courir ici, sur les blogs et partout sur Internet, cette envie de retrouver une impulsion vive et enthousiaste (et, désolée d'avance si je passe pour une vieille conne, moins pourrie par le cheap thrill du like algorithmique qui a modifié bien malgré moi mon rapport à l’écriture et au “faire” en général). Je me souviens que dans ma chambre je fabriquais mes petites pochettes avec des photos de piètre qualité prises sur l'application PhotoBooth. Que je ne me disais pas "comment on écrit une chanson ?" ou "suis-je capable d'écrire une chanson alors que je ne connais qu'une dizaine d'accords ?" mais que je m’y mettais simplement. Et même si le résultat n'était pas ouf, tout cela m'apportait de la satisfaction.

En ce moment, alors que j'écris et que je reprends doucement la musique (et que je dois me battre contre mon impression idiote d’être désormais trop vieille pour tout ça), j'essaie de trouver un moyen de gagner la bataille contre les doutes qui se sont installés dans un loft bien confortable dans mon cerveau. J’ai envie je crois de mettre la réverb à fond, de bricoler, d’avancer sans me retourner. Ne pas penser au résultat, aux relectures, aux écoutes, mais au geste, à la joie de faire, et de faire encore.

Ce que j’ai fait en octobre :

📚 Sur mon blog j’ai publié un texte sur Nowhere Girl et Punk à sein de Magali Le Huche, j’y fais un petit détour par ma passion adolescente pour Placebo, disponible ici ! Et j’ai aussi compilé les petites critiques écrites sur Instagram ces dernières semaines avec une petite intro, par là !

👀 Pour les Inrocks j’ai chroniqué Searoad d’Ursula K. Le Guin, un recueil de nouvelles (merveilleusement traduit par Hélène Collon) vraiment incroyable que je vous recommande vraiment pour éclairer cet automne pluvieux (c’est drôle et tendre et triste et profond), le nouveau Mariana Enriquez (traduit par Anne Plantagenet) et le recueil de la poétesse ukrainienne Yaryna Chornohuz (traduit par Ella Yevtouchenko et Frédéric Martin).

🔥 Dans le dernier épisode de notre podcast L’huile sur le feu, on fait un petit bilan de notre été avec Ambre, l’occasion de revenir sur mes petites obsessions de ces derniers mois. Ça s’écoute un peu partout, par exemple ici !

😱 Pour La ville brûle j’ai interviewé Taous Merakchi pour son essai Monstrueuse, dans lequel l’autrice analyse sa passion pour les films d’horreur. Ça parle de féminisme, de maternité, de la construction du désir et de ce que l’attrait pour la peur dit de nous et de la société dans laquelle on vit. Et j’ai profité de cette newsletter autour de l’horreur pour recommander I saw the TV Glow de Jane Schoenbrun, avouez que ça faisait longtemps ? Ça se lit par ici !

À voir / à lire / à écouter :

🎧 En ce moment en faisant ma petite heure de broderie quotidienne je rattrape la passionnante série Le monde après le spécisme de Pauline Chanu (et je suis aussi en train de lire son essai Sortir de la maison hantée Comment l'hystérie continue d'enfermer les femmes paru aux éditions La Découverte en octobre). C’est assez difficile à écouter par moments mais ça offre des perspectives extrêmement riches et précises sur nos rapports aux animaux et sur la possibilité de sortir du spécisme. Je vous le recommande fortement ! Ça s’écoute ici.

📚 J’ai aimé lire l’entretien croisé entre quatre membres du collectif Les Désirables (qui rassemble des maisons d’édition et des libraires indépendant·es) mené pour Médiapart par Joseph Confavreux et Ludovic Lamant. C’est un échange autour de la rentrée littéraire, de la concentration des groupes éditoriaux, de la situation des libraires. Bref, un petit tour d’horizon pas forcément réjouissant de l’état du monde du livre.

🎬 Il a fallu que j’attende sa mort pour découvrir l’histoire de Björn Andrésen, acteur de Mort à Venise de Visconti et des souffrances qu’il a traversé après avoir joué Tadzio. Visconti l’appelait “le plus beau garçon au monde” et il a raconté s’être senti après la sortie du film comme dans une cage, objectifié, hanté par ce personnage. Sian Cain retrace cette histoire dans sa nécro parue dans le Guardian.

📚 Je lis en ce moment le manga Gen aux pieds nus de Keiji Nakazawa (traduit du japonais par Vincent Zouzoulkovsky et Koshi Miyoshi et qui reparaît aux éditions du Tripode) dont j’avais vu quelques planches à la grande exposition BD du Centre Pompidou et que j’avais très envie de découvrir depuis. Le manga s’inspire de l’histoire de Nakazawa et raconte son expérience du bombardement d’Hiroshima alors qu’il n’a que six ans. C’est évidemment une lecture assez difficile mais aussi très forte. Mon collègue Vincent Brunner en a très bien parlé pour les Inrocks par ici.

Diane Keaton dans “Something’s Gotta Give” de Nancy Meyers (ou : moi quand j’écris)

En bref :

💖 Quand j’ai appris la mort de Diane Keaton, j’ai eu envie de revoir un de ses films. C’est une actrice que j’ai adoré à la fin de mon adolescence parce qu’elle représentait une féminité un peu différente, parce qu’elle était drôle et très stylée (de ce style personnel qui me semblait ne pas exister pour le regard des hommes mais pour elle-même). Alors que je pensais aux rôles qui m’avaient marquée, mon cerveau tournait en boucle sur Annie Hall et à Manhattan, deux films que j’ai aimé de toute mon âme quand j’avais vingt ans mais que je n’avais pas particulièrement envie de revoir. J’ai donc choisi de me refaire plutôt Something’s gotta give de Nancy Meyers qui est une ode au talent, à l’humour et au charme de Diane Keaton et est une rare perspective sur le vieillissement des femmes (bien que blanches, riches et avec une énorme maison face à la mer). Et ça m’a fait bien plaisir de le revoir.

🛸 Un temps fort autour du cinéma de John Carpenter sur Criterion (doublé de l’argument d’autorité “c’est une histoire d’amour”) m’a enfin motivée à rattraper Starman que j’avais toujours rechigné à regarder. Le film raconte l’histoire d’un extra-terrestre qui débarque sur la Terre et prend l’apparence du mari défunt d’une jeune veuve. Je ne m’y attendais pas forcément mais il m’a beaucoup émue par sa manière de traiter avec une fausse simplicité des thématiques très fragiles et sensibles, notamment ce qui fait l’humanité dans toute sa beauté et sa cruauté. Le regard extérieur de l’extra-terrestre est assez bouleversant et permet une étude assez poussée sur ce qui nous constitue (il y a le début d’une pensée antispéciste qui est très intéressante aussi). Et puis c’est aussi un film sur la construction du sentiment amoureux, sur la solitude et sur le temps long du deuil.

👻 J’ai aussi beaucoup aimé la nouvelle BD de Mirion Malle Le problème avec les fantômes (éditions Glénat), j’ai eu le projet d’en faire une analyse croisée avec Starman mais ça végète dans un coin de mon cerveau pour le moment. C’est aussi une très belle œuvre sur le deuil et sur le tabou de nos sociétés autour de la mort. Sur la façon dont chaque personne vit l’absence différemment, en se sentant plus ou moins connecté·e aux autres, plus ou moins légitime. L’idée graphique de représenter le fantôme comme une forme jaune qui porte quelques marqueurs de la personne (comme son essence) est assez bouleversante, ça évolue selon les pages et les histoires. Et il y a comme toujours chez l’autrice un vrai travail autour des dialogues, elle laisse le temps à ses personnages d’aller dans la complexité de leurs émotions.

🎬 Je suis allée voir Un simple accident de Jafar Panahi, l’histoire d’un homme qui pense avoir retrouvé son tortionnaire mais hésite au dernier moment à l’exécuter. J’ai adoré la manière dont il déroule mille fils de pensée à partir du problème philosophique de la vengeance. Ça travaille très très profondément la question du bien et du mal et j’ai eu la sensation que c’était l’un de ces films précieux avec lesquels on entre en dialogue et qui, de ce fait, nous marquent durablement. Plusieurs jours après j’y repense encore.

🎶 Quand j’étais à Paris je me suis passé en boucle la chanson Mutilation Falls de Ryan Davis & the Roadhouse band. C’est une super chanson pour marcher dans la rue en faisant low-key une crise de panique. Je n’avais pas adoré ce disque la première fois que je l’ai écouté, j’étais passée à côté, et puis l’autre jour on l’a remis au bureau alors que j’écrivais et d’un coup les chansons se sont dépliées devant moi comme les fleurs séchées qui se réhydratent doucement dans l’eau chaude et je l’ai trouvé assez sublime. Mutilation Falls me fait penser à une de mes chansons préférées, From the rivers to the ocean de Bill Callahan. Elles partagent une forme de souffle épique et des paroles pleines de métaphores incroyables (que je peux ensuite citer en titre de ma newsletter, merci pour ça).

👯‍♀️ Pendant mon séjour parisien je suis allée voir la version scénique des Demoiselles de Rochefort au Lido, mis en scène par Gilles Rico. J’avais assez peur du résultat, de passer le spectacle à le comparer à ce film que j’aime tant, mais j’ai été vraiment séduite par l’adaptation, avec l’ajout de séquences de danse et de claquettes qui apportent pas mal d’énergie (la séquence de Gene Kelly, l’une de mes préférées dans le film, était vraiment très réussie). Et puis entendre les chansons de Michel Legrand jouées en live par un orchestre, ça ne se refuse pas.

Et sur ce, je vous souhaite un bon mois de novembre, comme si une telle chose existait !