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Les nouvelles d'octobre
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Les nouvelles d’octobre
Le dernier épisode de “Reservation Dogs” 💔
Je pense beaucoup à l’espoir en ce moment. C’est une idée lointaine, impossible à attraper, un songe abstrait, qu’on essaie d’allumer comme un feu sous une pluie battante. En octobre je me suis souvent agacée de ne pas le trouver dans ce que je voyais ou entendais. Je me suis énervée devant cette pièce de théâtre complètement apolitique sur l’écologie et les animaux qui m’a donné envie de hurler de frustration. J’ai soupiré de Francis Ford Coppola et de son Megalopolis complètement boursouflé, qui n’a pas réussi à me vendre ses réflexions cheap sur la créativité et sur ce que l’Art peut pour nous. Je lui en ai voulu de sa naïveté, de son optimisme creux, de glorifier un personnage qui veut détruire des quartiers pauvres pour construire une ville high tech. Nos imaginaires en sont-ils toujours là ?
Et puis parfois j’ai trouvé, sans même avoir à creuser, ces instants magiques qui faisaient crépiter quelque chose en moi. Deux fois en regardant la dernière saison de la série Reservation Dogs — une fois devant une scène de diner partagée par un père et sa fille (qui m’a fait penser aux meilleurs épisodes de Halt and Catch Fire); et une fois devant le finale dans lequel Lili Gladstone parle de ce que ça veut dire de faire communauté. Mais j’ai éprouvé la forme la plus pure d’espoir devant le concert de Godpseed You ! Black Emperor au Trianon au début du mois. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre en arrivant (le post-rock ça n’a jamais été vraiment mon truc) et puis quelque chose dans cette musique qui prend aux tripes et explose en lignes mélodieuses répétitives m’a retourné le cœur.
Le groupe joue presque dans le noir, accompagné de projections de films en super 8. J’ai trouvé ça magique que de simples images d’oiseaux, d’incendies ou d’arbres, combinés à cette musique instrumentale, aient soudainement pour moi une portée politique infinie. Comme si je parlais soudain cette langue non-verbale que je ne pensais pourtant jamais comprendre. C’est un concert qui m’a fait voyager au fond de moi-même tout en me heurtant profondément au monde. Il n’y avait dans ce qu’iels me donnaient aucune naïveté, aucune promesse, pas d’optimisme mal placé mais quelque chose de plus fort et de plus beau. Iels ont surtout joué leur dernier album. Je ne le savais pas encore mais il ne porte pas de titre, simplement la mention : No Title As of 13 February 2024 28,340 Dead, en référence au nombre de palestinien·nes tué·es à Gaza. Sans le savoir, j’y ai beaucoup pensé ce soir-là, portée dans le flot de l’actualité par cette musique qui prend au ventre, par ces images d’oiseaux qui font pleurer à chaudes larmes. Je réfléchissais à cette façon miraculeuse qu’a parfois l’art de nous donner la chance non pas de nous échapper, mais d’être un peu plus présent·e au monde.
Ce que j’ai fait en octobre :
🎧 J’ai lancé un podcast avec mon amie Ambre Sachet ! Ça s’appelle L’huile sur le feu et chaque mois(-ish) on vous parlera d’un film et d’un livre. On commence donc avec Les monstres : séparer l’œuvre de l’artiste de Claire Dederer (paru aux éditions Grasset et traduit par Carine Chichereau) et L’amour ouf de Gilles Lellouche (spoiler : je n’ai aimé qu’une de ces deux œuvres, je vous laisse deviner laquelle !!!). Ça s’écoute par ici ou sur Spotify/Deezer.
📚 Et si ça vous intéresse j’ai interviewé Claire Dederer pour les Inrocks, une femme absolument passionnante ! On a parlé une heure et j’aurais aimé avoir 30000 signes pour faire honneur à la profondeur de sa pensée. C’est là !
🗞 Toujours pour les Inrocks, j’ai rencontré la géniale autrice jamaïcaine Safiya Sinclair (pour son récit autobiographie Dire Babylone, paru aux éditions Buchet-Chastel, traduit par Johan-Frédérik Hel Guedj), j’en ai tiré un portrait et une interview politique. Et puis j’ai aussi parlé d’autres livres que j’aime comme la BD Give it to me de La Rata (Flammarion, traduit par Viginie Despentes), Martyr ! de Kaveh Akbar (Scribes, traduit par Stéphane Roques) et Les Oubliées de l’Arkansas de Monica Potts (Globe, traduit par Cécile Deniard).
🗓 Côté agenda, je serai à Lille (à la librairie l’Affranchie) et à Paris (à la librairie le Rideau Rouge) les 7 et 8 novembre pour présenter le magnifique livre de Claire Cronin Les Écrans sanglants (qui paraît le 8 novembre) aux éditions Le Gospel avec son éditeur et traducteur Adrien Durand. Si vous êtes là eh bien venez !!! Et sinon, lisez le livre. Je vous en reparlerai !
🐈 Et je vous fais un petit rappel pour dire que mon livre Le petit chat et moi est sorti il y a un mois aux éditions Philippe Rey. Si vous l’avez lu et aimé n’hésitez pas à en parler autour de vous (à votre libraire ou journaliste pref par exemple) ou à laisser une review sur Goodreads, la Fnac, Babelio etc etc. Allez promis je ne vous embêterai pas tous les mois !
À voir / à lire / à écouter :
💖 Ça fait plusieurs fois que j’oublie de partager cet article de Gurvan Kristanadjaja paru cet été dans Libération et qui parle de Brest. C’est un article très sensible et beau sur cette ville longtemps mal aimée (et pourtant adorée de ses habitant·es) et je me suis beaucoup reconnue en le lisant. (Ce n’est qu’en revenant vivre ici que je me suis aperçue que, oui, on voyait la rade de la rue Jean Jaurès, et je savoure cette vue à chaque fois que je marche dans la ville)
📚 Je recommande fortement la lecture du texte écrit par le romancier palestinien Karim Kattan dans lequel il se demande pourquoi les milieux littéraires restent désespérément silencieux sur Gaza.
📚 Article très intéressant d’Ellen Salvi sur le succès de l’antiféminisme en librairie, un petit backlash éditorial bien sympathique porté notamment par les “livres” de Caroline Fourest et François Bégaudeau. La journaliste évoque aussi où en est le #MeToo édition. À lire par là !
🍽 Si vous avez des sous, sachez que c’est la dernière ligne droite pour précommander le numéro de la super revue Flaneries qui parle voyage et féminisme. Ce numéro sera consacré au rapport à la nourriture et ça promet d’être une nouvelle fois passionnant ! Je n’écris pas dedans mais je soutiens car je trouve ce projet super et qu’il est porté par de très chouettes personnes.
🎶 Récemment je me suis abonnée à une newsletter autour de Stephen Sondheim (eh oui) et j’ai adoré lire cette interview avec la géniale Julie Klausner. C’est une très belle interview qui parle autant de Sondheim et de son génie que du rapport que l’on tisse avec un artiste que l’on aime. J’ai adoré cette phrase : “Somebody once said that Steve’s oeuvre follows you throughout your life the way those eyes in a painting would follow you around the room.” À chaque fois que j’ai un coup de mou je vais chercher la réponse dans Into the Woods. Et très souvent, je la trouve.
🎬 J’avais parlé le mois dernier de mon amour pour le film Dahomey. J’ai beaucoup aimé lire ce (long) portrait de Mati Diop par Julian Lucas pour le New Yorker. Elle y dit beaucoup de choses intéressantes sur la France, les restitutions, son rapport au cinéma et à la musique de film mais aussi sur l’impact réel de ses films et ses doutes à ce sujet.
Jeanne Moreau dans “Eva” de Joseph Losey
En bref :
👀 J’ai rattrapé Le traitre de Marco Bellocchio qui est sorti en 2019 et raconte l’histoire (vraie) du procès d’un “repenti” de la mafia sicilienne. C’est un film qui m’a beaucoup intéressée pour plusieurs raisons : pour sa distance qui m’a parue très juste vis-à-vis de la représentation de la violence et pour son rapport très intelligent à son personnage. Il ne le glorifie jamais (ce qui est quand même rare dans les films sur la mafia / les hommes violents et charismatiques) et l’écriture est très fine et précise.
🎬 J’ai aussi aimé le Eva de Joseph Losey, pas pour son scénario qui tient quand même un peu sur un post-it mais pour le regard de Jeanne Moreau, pour Venise, pour l’auteur névrosé qui empile ses livres dans son salon et pour tous les plans magnifiques dont Losey a le secret. (Donnez-moi un plan qui se reflète dans des lunettes de soleil et Venise en noir et blanc et je suis heureuse)
🐜 J’en ai parlé sur Instagram mais j’ai rattrapé les deux premiers et très jolis livres de la toute jeune maison d’édition lilloise la Fourmi, l’un de Pauline Harmange, l’autre de Chien fou. Ce sont deux histoires d’amour autour de l’attente et de l’engagement qui m’ont fait du bien dans ces temps de disette générale.
♟ J’ai profité d’avoir du temps de “lecture perso” pour rattraper Intermezzo de Sally Rooney (je l’ai lu en anglais mais il est paru en français aux éditions Gallimard dans une traduction de Laetitia Devaux). Je sais que Rooney divise et j’avais moi-même été hyper déçue par son précédent livre, mais celui-là m’a plu, pour sa mélancolie et pour le vrai talent de Rooney pour capter quelque chose de la solitude de l’époque, de nos monologues intérieurs névrosés. J’aime vraiment sa façon d’écrire ses personnages et l’amour (même si ce livre m’a rendue incroyablement triste, mais c’est de saison).
C’est tout pour moi, je vous laisse avec un peu de Godspeed You ! Black Emperor, comme si on était encore en 2005 et qu’on s’envoyait nos morceaux préférés en DM sur last.fm. Et on se retrouve fin novembre !