Les nouvelles de mars

Une brève lueur qui palpite et s’éteint

Les nouvelles de mars

Image du film Les Chaussons Rouges de Powell et Pressburger

La semaine dernière je suis allée à Paris pour participer à une rencontre croisée. J’avais écrit une liste de choses à faire, et comme à chaque fois, je n’en ai pas coché la moitié. Je n’ai pas goûté ces donuts vegan que je vois souvent passer sur Instagram, je ne suis pas allée manger des pancakes pour le petit déjeuner, je n’ai pas acheté ce livre de Rachel Cusk que je voulais me procurer. À la place j’ai mangé des udon seule sur une terrasse passage Verdeau, j’ai pris un café trop cher en me demandant si j’allais enfin faire le questionnaire de Proust sur les sets de table du café de Shakespeare and Co, j’ai parlé avec des copines et j’ai acheté un livre sur l’auto-édition féministe à Un livre une tasse de thé.

Mais j’ai coché une case de ma liste tout de même : aller voir un film au Champo. Et cela tombait bien puisqu’ils passaient Les chaussons rouges de Powell et Pressburger dont le blu-ray m’avait été offert par un ami et qui m’avait laissé un souvenir ébloui. J’ai été émerveillée une nouvelle fois — et encore plus sur grand écran — de la manière dont les couleurs éclatent (ah, le technicolor !), de toutes les inventions visuelles, de tous ces regards terrifiés filmés au plus près du visage de Moira Shearer. Paris ne me manque pas beaucoup, disons pas très souvent, mais parfois, quand je traîne à mon bureau, j’ai envie de prendre le RER A et de sécher le travail pour aller m’enfoncer dans les sièges rouges du Champo.

En me baladant avec une copine sur les quais, nous parlions du rapport de chacun·e à l’écriture. Je disais que j’adorais ces séjours à Paris pendant lesquels je savais que je n’allais rien faire, rien produire. C’était toujours le but de mes après-midi au cinéma : voler du temps, faire l’école buissonnière. Faire le plein de belles images, de récits, et me les repasser dans le RER. Elle me suggérait qu’on n’écrivait pas forcément que devant sa feuille mais aussi pendant tous ces temps de divagations. Qu’il y avait plein de manières de faire, de s’organiser. Et il est vrai que pendant mes deux jours à Paris j’ai fait tourner, dans une lointaine tâche de fond, le chapitre que j’écris en ce moment sur mon rapport à la fiction.

Donc voilà je n’ai pas mangé de donuts vegan, je n’ai pas acheté de livres de Rachel Cusk mais j’ai pris du temps pour ne pas faire grand chose et pour ne rien écrire du tout. Pour revoir Les chaussons rouges. Et c’était bien.

Ce que j’ai fait en mars :

📚 J’ai pas mal écrit sur mon blog, ce qui me met toujours en joie. J’ai déposé un petit texte sur la très étrange comédie musicale Xanadu (mots clés : disco, roller, Gene Kelly vieillissant, Olivia Newton-John, bruits de laser, années 80) par ici. J’ai aussi écrit sur Dune, Raoul Walsh et Moulin Rouge ici. Et enfin j’ai parlé de trois films qui m’ont beaucoup plu, Maternité éternelle de Kinuyo Tanaka, Les chaussons rouges dont je parle plus haut et Supermarket woman de Jūzō Itami. Par !

📕 Pour les Inrocks, j’ai écrit un papier assez long sur des autrices republiées en mars qu’on peut lire en ligne par ici. J’ai aussi fait la critique d’un roman que j’ai adoré, Orbital de Samantha Harvey, qui est une sorte de méditation à bord de l’ISS et qui est très très beau (paru chez Flammarion, traduit par Claro). Ma critique est ! Et puis dans le numéro d’avril vous pourrez lire, si ça vous dit, un portrait de Linn Ullmann écrit par mes soins pour la parution du très beau Fille, 1983 aux éditions Bourgois (traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud).

✍️ Un peu de réclame pour mes ateliers d’écriture qui reprennent au Refuge Royal à Brest pour le dernier trimestre. Ils auront lieu le 6 avril (L'amitié), le 25 mai (La solitude), le 8 juin (L'été). À 10h à chaque fois ! Si ça vous dit, envoyez-moi un mail !

🎙 Et dernier point pour vous dire que j’animerai deux tables rondes au Festival du livre de Paris sur la scène Québec le 14 avril à 12h avec Martine Delvaux, Titiou Lecoq et Camille Toffoli et une autre à 14h avec Elitza Gueorguieva, Annie Lafleur et Heather O’Neill. Un beau programme à mon humble avis !

Deal de feuilles Diddl dans Samuel d’Emilie Tronche (celleux qui savent savent)

À voir / à lire / à écouter :

🎧 Ces derniers mois, j’ai suivi assidument la newsletter de Manon / Cebe Barnes, dans laquelle elle racontait son rapport à la musique : l’évolution de ses goûts, les textes écrits dans des webzines musicaux, le sexisme (que j’ai moi-même bien connu), les sphères dans lesquelles elle a évolué de la musique électronique à la pop… C’est une introspection personnelle, érudite et sociologique (qui donne aussi envie d’écouter plein de choses différentes) que vous pouvez maintenant lire dans son intégralité du chapitre 1 au chapitre 10. Si les éditions Pauline Le Gall existaient, je l’éditerais sans hésiter mais à défaut, je lui remets un petit coup de projecteur par ici. Rattrapez-moi tout ça !

🎬 Je citais le mois dernier plusieurs articles sur La zone d’intérêt de Jonathan Glazer, je rajoute celui-ci, écrit par Naomi Klein et qui tisse des liens entre le film et la situation en cours à Gaza. “La zone d’intérêt est un film sur le danger d’ignorer les atrocités, y compris celles qui se déroulent à Gaza”. L’article a été écrit après le discours de Glazer aux Oscars. Il se lit ici.

🎤 Les polémiques qui agitent la France me plongent quotidiennement dans des abîmes d’incompréhension, heureusement qu’on a de bonnes journalistes pour remettre les points sur les i. Je recommande ainsi fortement de lire le papier de Faïza Zerouala pour Mediapart sur le Aya Nakamura aux JO-gate, titré Pourquoi Aya Nakamura est le cauchemar de l’extrême droite.

💘 En ce moment, mon petit plaisir c’est de suivre sur le compte Instagram Arte à suivre la série animée Samuel d’Emilie Tronche. Les épisodes durent quelques minutes et racontent le quotidien de Samuel, dix ans. Ses ami·es, ses crush, ses vacances… C’est à la fois très bien écrit, très minimaliste et beau visuellement, très poétique et très drôle. J’attends mon petit épisode impatiemment chaque jour mais si vous préférez vous pouvez aussi tout voir d’un coup sur Arte.tv.

👀 Je recommande aussi fortement la lecture du passionnant article d’Azélie Fayolle (paru sur AOC), La tâche de la critique, interpréter la littérature pour les deux moitiés du monde qui ouvre plein de pistes de réflexion sur la critique littéraire, la politique des textes et “la politisation du public par la littérature”. C’est un texte très riche qui revient sur l’invisibilisation des femmes, sur la glorification de la violence en littérature, sur l’illusion de l’objectivité.

Image de Maternité éternelle de Kinuyo Tanaka

En bref :

🎧 Un bon mois musicalement puisque deux de nos meufs sûres ont sorti de très beaux disques. Il y a déjà le déchirant Bright future d’Adrianne Lenker, qui se termine sur l’incroyable Ruined que j’ai hâte de réécouter en chouinant (elle a aussi sorti un EP dont les ventes sur Bandcamp sont reversées au Palestine Children's Relief Fund et qu’on peut se procurer ici). Et Julia Holter a aussi sorti un très très bel album (Something in the Room She Moves) que je recommande aussi d’écouter.

❤️ Si vous aimez l’amour (j’ai beaucoup rigolé en revoyant Moulin Rouge, j’avais oublié cette réplique que j’adorais étant ado : thank you for curing me of my ridiculous obsession with love !), je vous recommande One Day sur Netflix. La série est adaptée du roman de David Nicholls et suit deux ami·es sur plusieurs années. C’est assez doux-amer sur l’amour, l’ambition, la réussite mais aussi assez doux sur tout ce qu’apporte le temps long, sur la construction d’une relation. Il y a aussi un petit côté SF très appréciable puisque l’héroïne peut quitter son job pour écrire à plein temps. Voilà j’avais bien besoin de ça en ce moment !

🦹‍♀️ La saison 2 de l’excellente série Extraordinary est sortie sur Disney+ et elle est toujours aussi drôle et attachante. On se reconnaîtra forcément dans la représentation de la psyché de l’héroïne qui prend la forme d’une bibliothèque en bordel. Et puis on a besoin de séries drôles ! Si vous en avez à me recommander, je prends.

🤭 Ce qui est bien avec le crowdfunding c’est qu’on oublie complètement qu’on a financé un truc et quand on le reçoit on a l’impression que c’est gratuit (ou c’est que moi ?). Toujours est-il que j’avais participé au financement de Enchaîné au rire de Félix Auvard (aux éditions Exemplaire) il y a quelques temps et que je l’ai lu pendant un week-end pluvieux. J’ai beaucoup rigolé dans ce récit autofictionnel qui passe en revue toutes ses obsessions et est aussi un beau coming of age sur toutes les manières dont on essaie de trouver sa place dans le monde (dans son cas en faisant rire, en lançant son blog…). Ça parle aussi de coming out, de Pokemon et de Skyblog. Bref, je vous le recommande !

Et je vous laisse avec un petit extrait d’Orbital de Samantha Harvey, paru aux éditions Flammarion, traduit par Claro :

Nous sommes pris dans un univers de collision et de dérive, les longues et lentes répercussions du premier Big Bang alors que le cosmos se fracture ; les galaxies les plus proches se tamponnent, puis celles qui restent s’égaillent et se fuient jusqu’à ce que chacune soit isolée et qu’il n’y ait que l’espace, une expansion s’étendant en elle-même, un vide accouchant de lui-même, et dans le calendrier cosmique tel qu’il existerait alors, tout ce que les humains ont fait et ont été sera une brève lueur qui palpite et s’éteint une fois de plus en un seul jour au milieu de l’année, ne laissant nul souvenir.

Nous vivons aujourd’hui au sein d’une existence frénétique le temps d’un claquement de doigts d’êtres fiévreux, et c’est tout. Cette explosion estivale de vie est davantage une bombe qu’un bourgeon. Ces temps féconds filent vite.