Les nouvelles de mai

Moyen c'est déjà très bien

Récemment j'étais à la librairie et j'ai acheté Le livre d'un été de Tove Jansson. Je ne sais pas si ça vous fait ça, mais parfois soudainement je repense à un livre qu'on m'a recommandé et je me dis "c'est le moment". Alors j'ai acheté ce livre dont m'avait parlé ma copine d'Internet Anne-Lise quand ma grand-mère est morte, il y a (presque) pile un an.

J'ai passé un an à essayer de recomposer un portrait de ma grand-mère. Pour ne pas garder que le dernier regard un peu terrifiant qu'elle m'a lancé, pour ne pas garder que son corps si faible. Dans mes moments d'ennui cette année j'ai essayé de fouiller dans mes souvenirs. De coller les rires avec l'image de son dos un peu voûté quand elle faisait la cuisine avec le flot continu de sa parole, comme une mer, un tsunami plutôt. Comment reconstituer les souvenirs éparpillés ?

Et puis j'ai ouvert Le livre d'un été. Et voilà que d'un coup ma grand-mère était là. Pas forcément parce que la grand-mère décrite par Jansson ressemble tant à la mienne, mais parce que je me trouvais soudainement devant tout ce qui faisait qu’elle était elle et pas une autre. Cette façon qu'elle avait parfois de me rudoyer un peu. Sa franchise. Son agacement, aussi. Elle n'était pas que d’un bloc, pas que douce, pas qu’une grand-mère. Elle était mille choses à la fois. En racontant l'histoire de Sophie et de sa petite-fille, Tove Jansson met des mots sur tout ça. Le beau, le moche, la complexité, les engueulades, la tendresse aussi, qui émerge parfois n’importe comment, dans tous les sens. Et je me suis rendue compte qu'Anne-Lise ne m'avait pas livré en me conseillant ce livre la clé de mon deuil mais celle de mes souvenirs. Vivants, complexes.

Ces derniers jours j’ai aussi beaucoup écouté l'excellent album de mes ami·es de Chiens de Faïence (Faux mouvement) qui apporte, il me semble, la même complexité à une expérience de l'enfance et des souvenirs. C'est un disque qui raconte l'ennui, le goût du moche, l'envie de ne pas être toujours plus, tous les pas de côté qu’on fait au long d’une vie. En l'écoutant j'ai retrouvé un sentiment de stagnation de mon enfance, mais aussi quelque chose de l'essence d'une simplicité, un désir de moins qui m'a vraiment émue jusqu'aux larmes. Il me semble que, comme chez Jansson, il contient un petit morceau de souvenir, de ce que j’étais, de ce qu’elle était. Un souvenir pas toujours parfait. Mais rien qu’à moi.

Ce que j’ai fait en mai :

🎶 En mai j’ai pris des vacances donc je n’ai pas publié grand chose, j’ai écrit un texte sur le concert de Yo La Tengo et même que je n’en dirai pas plus car j’ai l’impression d’avoir usé mon quota de tweets / post insta etc… Sur le sujet ! C’est par ici ! 

✏️ Pour Women Who Do Stuff j’ai interviewé Fatima Ouassak, je ne peux que vous recommander de lire son passionnant essai Pour une écologie pirate paru aux éditions de la découverte. L’interview est par là !

📚 Pour la newsletter de la ville brûle j’ai interrogé Diglee pour son récit Atteindre l’aube. Par ici par là !

👯‍♀️ Le 27 mai mon petit livre aura un an, pfiou, time flies comme on dit. Pour fêter ça eh bien on ne fait rien de spécial mais vous pouvez toujours l’acheter dans votre librairie indépendante, afin de participer à ma grande richesse !

À voir / à lire / à écouter :

💘 J’ai beaucoup aimé le documentaire de Julia et Clara Kuperberg sur Jack Lemmon, qui retrace la carrière de cet acteur que j’aime tant. Ça raconte ses débuts au cinéma, ses amitiés artistiques, sa détermination et ses engagements, aussi. Le documentaire m’a donné envie de voir Sauvez le tigre de John G. Avildsen, un film très mélancolique sur la crise de sens d’un homme. Le docu est à voir sur Arte en replay !

🧸 Ma BFF Aurore Carric a publié ce mois-ci un merveilleux livre pour enfant, Doudou Pride (aux éditions Thierry Magnier). Elle signe les illustrations et le texte est de Valentine Goby. Ça parle de s’accepter dans toutes nos différences, de voir la beauté partout où elle est. Je vous le recommande parce qu’il est vraiment (objectivement !) très beau, plein de petits détails merveilleux, plein d’inventivité et de douceur, de tendresse. Moi j’y retrouve toute sa géniale créativité. Et il est peint à la main ! Dispo dans toutes les bonnes librairies !

🎬 J’ai perdu beaucoup de points de vie à m’énerver contre les décisions désastreuses du festival de Cannes ce mois-ci (et à mute des tweets afin de ne pas lire les inepties des fans de Depp). Je vous recommande cet article très éclairant de Médiapart pour déprimer un bon coup.

📚 Je vous conseille fort d’écouter cette merveilleuse interview de la non-moins merveilleuse Deborah Levy par la toute aussi merveilleuse Marie Richeux — dispo par ici. J’essaie de retenir ses conseils sur une écriture vivante tandis que j’essaie de finir un texte qui me tient à cœur ces jours-ci.

📺 J’ai aimé cette vidéo de The Take (partagée par SaltyLena sur Twitter, elle s’est aussi lancée dans un thread sur ce sujet que je vous recommande) sur Rory de Gilmore Girls. La vidéo raconte pourquoi Rory est aussi agaçante en élargissant sur les millenials (parfois ça pique pour nous, eh oui).

💃 November Ultra qui programme 42e rue et qui parle de comédies musicales ça ne pouvait que me plaire, ça s’écoute ici et c’est super ! On a envie de voir plein de comédies musicales après ça et puis elle a une manière très sensible de parler du genre comme une expérience collective et des films comme des compagnons de route.

En bref :

🎟 À mon dernier passage à Paris je suis allée voir l’exposition Exposé·es au Palais de Tokyo qui évoquait avec beaucoup de force l’impact du Sida dans la vie des artistes et dans leurs œuvres. L’expo est terminée malheureusement, mais je peux quand même vous parler de David Wojnarowicz dont la courte vidéo When I Put Your Hands on my Body m’a complètement retournée. Une installation incroyable où des images de caresses illustrent un texte d’une beauté bouleversante. Comme j’avais déjà adoré ce que l’on entendait de ses textes dans le docu sur Nan Goldin (il est mort du Sida à l’âge de 37 ans) j’ai acheté l’un de ses livres, son écriture est incroyable. Et puis la rentrée littéraire est arrivée, mais je ne désespère pas de le finir un jour.

📺 J’ai commencé par détester Fleishman is in trouble, Anatomie d’un divorce en VF (dispo sur Disney+) et puis j’ai changé d’avis au fil des épisodes. Majoritairement grâce au personnage de Lizzy Caplan, une journaliste un peu ratée qui attend une promotion qui n’arrive jamais dans un magazine masculin. La série dissèque le mariage, la quarantaine, les ambitions dans une société capitaliste avec un regard très critique — mais elle sait aussi développer une forme de tendresse pour ses personnages. En gros ça m’a fait penser à la mère dans Boyhood qui dit : I thought there would be more. Toujours une pensée joyeuse.

✊ J’étais à Marseille en mai et j’y ai vu Barvalo, une super expo du Mucem, très engagée et forte. L’exposition retrace l’histoire des populations romani, la richesse de leurs cultures, la réalité de leurs existences et des discriminations dont iels souffrent. Le parcours est incarné par des vidéos de personnes concernées qui racontent leur vécu face caméra. À voir si vous êtes dans le coin ! (et le musée est très beau, aussi)

📚 Suivant les reco de Capucine Delattre, que j’interviewais pour son roman à paraître à la rentrée aux éditions la ville brûle, j’ai lu Elle a menti pour les ailes de Francesca Serra, un premier roman paru aux éditons Anne Carrière en 2020. J’ai eu du mal à le lâcher. Il raconte l’histoire d’une adolescente qui disparaît soudainement. On comprend au fur et à mesure pourquoi, tout ce qui l’a menée là. C’est une plongée vraiment réussie dans l’adolescence de la génération des personnes nées en 2000-2001 et c’est plein de complexité et de nuances sur le rapport au corps, sur l’envie dévorante de se conformer, sur ce que ça fait d’être une ado.

Je vous laisse avec Un livre d’été de Tove Jansson :

Et elle se mit à réfléchir à tous les euphémismes utilisés pour la mort, à tous ces tabous inquiétants qui l’avaient toujours intéressée. Quelle tristesse qu’on ne puisse jamais avoir une conversation intéressante sur ce sujet. Les gens étaient toujours ou trop jeunes ou trop vieux, ou encore ils n’avaient pas le temps.

Bon mois de juin à toustes !