Les nouvelles de juin

Guess who lost the go in the go-for-it

Le temps est cyclique et — en toute logique — juin a été le mois des fins. La fin d’un manuscrit sur lequel je travaillais depuis quelques temps et qui a, d’un coup, semblé prendre sa forme finale par lui-même. La fin de mon année de broderie avec les derniers passages de l’aiguille sur la toile. La fin des cours de claquettes et le sentiment, d’enfin, l’avoir fait. Les films et séries vues ont appuyé sur cette sensation. Le temps étiré de la dernière saison de Ted Lasso, comme une fin de soirée où personne n’a envie de se dire au revoir. Les larmes retenues en y entendant Let’s get lost de Chet Baker, qui raconte une forme d’abandon et qui collait avec la sensation de se laisser aller dans les bras de la fiction. Et puis l’heure dorée filmée par Pietro Marcello dans L’envol qui dessine un désir d’émancipation. Ce plan s’est imprimé dans ma rétine et j’y ai pensé pendant des jours — à la magnifique Juliette Jouan regardant au loin un homme immergé dans l’eau comme un crocodile. Le soleil qui dessine une ligne d’or sur son visage. La fin de journée, la plus belle fin qui soit.

Et puis j’ai surtout vu This Property Is Condemned (Propriété interdite) de Sydney Pollack qui, comme The Way Things Were du même réalisateur, explore le poids de nos engagements face à l’amour et au désir. Il y a dans ce film un magnifique personnage, incarné par Natalie Wood, une femme fantasque qui essaie de survivre à ses conditions de vie difficiles en s’échappant dans la fantaisie. Elle est obsédée par la fin. Avoir une fin heureuse. Échapper à son sort. Un homme de passage (Robert Redford) tombe amoureux d’elle. Mais il est agacé par le besoin de la jeune femme d’enchanter son quotidien. Il ne comprend pas que la fiction est pour elle un mécanisme de survie.

Ils vont voir un film ensemble et à la sortie du cinéma elle s’émeut du sort tragique du personnage féminin. Dans un élan de désespoir elle demande à Redford s’il n’a pas envie, parfois, de pouvoir manipuler la fiction. De changer le sort de cette héroïne, de la sauver. En retournant voir le film, on constaterait qu’elle survit et on serait alors tellement heureuxses. Lui ne comprend évidemment pas qu’elle craint le dénouement de sa propre histoire et qu’elle essaie de se trouver une porte de sortie. Alors il lui dit bêtement qu’elle serait triste d’être privée de ses larmes. Et qu’il faut — même si on y résiste — accepter le mot “fin”.

Ce que j’ai fait en juin :

📚 J’ai complètement délaissé mon blog, ce qui me désole (je voulais vraiment écrire sur le film de Sydney Pollack, and here we are !) mais c’était pour la bonne cause. J’aurai plein de choses à vous recommander pour la rentrée littéraire ! Et en attendant vous pouvez lire ma critique de La maison haute de Jessie Greengrass dans les Inrocks du mois de juin ou en ligne par ici par là.

👯‍♀️ Mon petit livre Utopies féministes sur nos écrans part en réimpression ! Allez j’en profite pour dire que vous pouvez toujours l’acheter ou le commander chez votre libraire pref, on peut checker la dispo sur Place des libraires !

✍️ Ce mois-ci j’ai lu et adoré l’essai d’Azélie Fayolle, Des femmes et du style : pour un feminist gaze (paru aux éditions Divergences) qui, comme son nom l’indique, théorise un feminist gaze en littérature. C’est un livre hyper stimulant, très érudit, très drôle aussi, qui m’a donné envie de lire mille romans. J’ai interviewé l’autrice pour les Inrocks, par ici !

À voir / à lire / à écouter :

🥁 J’ai beaucoup aimé cet article de Melissa Giannini paru dans Elle. Elle y raconte comment elle a tenté, sans succès, d’interviewer Meg White (la batteuse des White Stripes) pour lui parler de sa carrière. L’article parle du sexisme de la scène musicale des années 2000, de la difficulté d’avoir du succès quand on est une personne anxieuse, d’introversion, des insultes dont Meg White a été victime et de plein d’autres choses.

💘 J’ai été super émue par cet article du Guardian sur Heavenly, groupe culte d’indiepop qui s’est reformé pour des concerts récemment. Toute cette scène de Sarah Records, qui n’était pourtant pas vraiment de ma génération, m’a aidée à m’assumer comme la meuf boring et introvertie que je suis — et je leur en suis reconnaissante à jamais. J’avais d’ailleurs écrit sur Sarah Records et sur l’importance de la twee pop dans ma vie sur mon blog Tailspin (cet article a vieilli, 2016 !).

📚 Je ne connais pas hyper bien Booktok, mais j’ai été super intéressée par cet article d’Hélène Pagesy paru dans Le Monde qui explique la manière dont ces communautés d’amoureuses des livres aident plein de meufs à s’émanciper, à prendre confiance en elles. Ça parle aussi de sororité. J’aurais aimé vivre ça comme coming of age plutôt que d’être dans les milieux rock et pop autour de 2004 !

💅 Un article super intéressant du côté de Vogue UK sur la costumière du film Barbie, Jacqueline Durran. Ça raconte un peu le métier et la manière dont on cherche des tenues pour un film. Étant une Gerwigzouze, j’attends évidemment Barbie de pied ferme.

🎧 J’ai repris mes marches quotidiennes et comme je n’aime pas particulièrement la compagnie de mon monologue intérieur infernal, j’ai écouté des podcasts. J’ai adoré cet épisode des Pieds sur Terre, signé par Clémence Allezard (dont j’adore le travail en règle générale) sur Liliane et Andrée, deux femmes de 72 ans qui se sont mariées dans leur Ehpad. C’est un récit magnifique sur un amour qui est resté secret pendant quarante-sept ans. Ça parle de coming out, des séquelles qu’ont laissé les débats violents autour du mariage pour tous et du “besoin de se lier dans un monde qui se délite”. Ça m’a tout simplement fait pleurer en pleine rue.

💃 J’ai aussi adoré l’épisode de You Must Remember This sur Lena Horne. Horne a été l’une des premières femmes noires à être signée en 1942 par un grand studio hollywoodien, sans pour autant avoir un traitement égal (et c’est un euphémisme). J’avais découvert en regardant ses comédies musicales qu’on la faisait toujours apparaître dans des scènes qui pouvaient être coupées, pour que les films puissent être diffusés dans les états du Sud des États-Unis. Cet épisode de podcast est très riche en archives sonores ce qui donne l’occasion d’entendre Horne parler longuement avec sa voix merveilleuse.

🍔 Et je recommande aussi la lecture de cet article de Maya Goodfellow qui m’a sacrément donné envie de lire Meat Love d’Amber Husain. Ce n'est pas un livre sur pourquoi il faut aimer la viande, mais sur cette nouvelle tendance à prôner un “amour de la viande” supposément plus éthique, “au plus près” de la nature. L’article explique tout ça !

🎬 Je recommande donc x100 de regarder This Property is Condemned de Sydney Pollack. Si possible, voyez aussi The Way We Were. Les deux films brassent des sujets très similaires sur l’amour, sur les valeurs et ce qu’elles deviennent au sein du couple. Et j’aime que les personnages féminins aient le beau rôle. Natalie Wood est, par ailleurs, une actrice que j’adore et qui est tout particulièrement merveilleuse dans This Property is Condemned, il y a aussi une scène sublime autour d’une fontaine. Convaincu·es ? (c’est rhétorique, ne me répondez pas “non” !!)

🥴 Je me suis évidemment jetée sur la nouvelle saison de I Think You Should Leave de Tim Robinson, sortie sur Netflix en juin. Elle est un peu inégale, c’est le lot de toutes les séries à sketch, mais on a quand même beaucoup rigolé. Et je crois que ce que je préfère dans cette série c’est d’avoir des fous rires avec la personne que j’aime en la regardant. C’est un privilège de partager le même humour turbo-débile.

☄️ En juin j’ai lu Il faut tomber d’une comète pour connaître la solitude de Claire-Selma Aïtout, petit livre-poème que j’ai trouvé franchement bouleversant. C’est un poème sur la tristesse, sur la solitude, mais aussi sur une forme de rage, de fuite — bref je le recommande fortement. J’ai découvert au passage la petite maison d’édition 10 pages au carré, qui a l’air de faire des choses formidables ! Vous pouvez acheter ce livre et d’autres par ici !

💊 Après avoir vu le documentaire sur Nan Goldin dont je parlais il y a quelques semaines, j’ai rattrapé la série Dopesick — une série très fine et intelligente sur la crise des opioïdes aux US. Ça raconte à quel point le capitalisme tue, ça raconte la vie des personnes que l’on sacrifie pour les gains d’une petite minorité de riches. C’est dispo sur Disney+ et je recommande fortement si comme moi vous l’aviez ratée au moment de sa sortie !

🎧 J’ai fait une petite playlist des choses que j’ai aimé écouter en juin, c’est par là ! Toujours sur Spotify, je m’en excuse, un jour je ferai mieux !

Je vous laisse avec quelques mots de Il faut tomber d’une comète pour connaître la solitude de Claire-Selma Aïtout (10 pages au carré) :

la comète saura me comprendrela comète saura me nommeraujourd’hui mon nom n’est pas mon nomil est celui de celles et ceux qui m’ont précédémon nom est un secret qui naîtra de notre étreinterévélé quand ma trajectoire collera à la siennebaptême par le froid, la glace et le mouvement