Les nouvelles de février

Come what may

Les nouvelles de février

Scène de Moulin Rouge de Baz Luhrmann.

Souvent quand je dis que j’ai deux sœurs on me dit “et tu t’entends bien avec elles ?”. Je dis que oui, on est très proches. Et puis il y a une pause et on me répond que j’ai bien de la chance. J’ai mis du temps à comprendre que tout le monde ne s’entendait pas avec ses frères et sœurs (j’ai aussi mis du temps à comprendre que tout le monde n’était pas de gauche et que tout le monde n’aimait pas les fêtes de fin d’année, je suis un peu lente), tant cette relation me semblait évidente, tant je la prenais pour acquise. Quand j’ai écrit mon essai sur l’amitié, je pensais évidemment à mes copines mais je pensais aussi souvent à mes deux sœurs, à ma famille, à cet endroit où j’ai en premier lieu fait l’expérience de la complicité et de la liberté (j’ai aussi mis du temps à avoir des vrai·es ami·es, lente je vous dis).

En février, nous sommes allées à Londres pour fêter l’anniversaire de l’une d’entre nous. En vieillissant, bien sûr, toutes les relations sont mises à l’épreuve du quotidien, alors j’ai appris à chérir ces instants où l’on met tout sur pause pour passer du temps ensemble. Pour manger des pizzas, prendre un afternoon tea, marcher sous le soleil, voir une comédie musicale — ici pour voir une comédie musicale adaptée de Moulin Rouge de Baz Lurhmann, probablement le film le plus important de mon adolescence. Je sais qu’il a vieilli, qu’il est kitsch, etc etc etc. Mais dans cette histoire, dans le mix de références et de chansons, dans ce show vraiment résolument over the top il y a tout le concentré de mon adolescence. Il y a les posters d’Ewan McGregor et de Placebo placardés sur les murs de ma chambre, il y a les trajets mornes pour aller au lycée et il y a l’enchantement de découvrir la comédie musicale. Et puis il y a surtout mes deux sœurs, mes amies, la trace et la persistance de ce temps passé ensemble, comme une couche de vernis déposée sur tous mes goûts adolescents. Il y a nos obsessions communes et ce chemin que l’on continue à traverser ensemble. Au milieu de tout ce qui met ma foi en l’humanité à rude épreuve, c’était quelque chose, en février, de se rouler en boule dans ce cocon-là.

Come what may 💗

Ce que j’ai fait en février :

📚 Pour Les Inrocks j’ai écrit sur le roman de Percival Everett, Châtiment (Actes Sud, traduit par Anne-Laure Tissut) que j’ai repéré grâce à ma consœur Anne-Lise que je remercie ! Ça se lit par ici.

📝 J’étais très contente de participer au onzième et dernier numéro du zine le Gospel pour parler Yo La Tengo et citation. Le numéro est toujours dispo par ici ! Merci à Adrien pour la confiance.

💌 Dans la newsletter de la ville brûle j’ai parlé avec Pauline de Tarragon/PiJaMa de sa BD Minuscule Folle Sauvage et on a parlé santé mentale, féminisme et expérimentations graphiques. C’est ici !

👀 Ce n’est pas annoncé officiellement mais peut-être que je discuterai pop culture avec une autrice très cool et une journaliste/autrice aussi très cool le 19 mars à Paris donc save the date comme on dit !

À voir / à lire / à écouter :

📚 Sur Friction Magazine, j’ai été très intéressée par l’article de Jolan Maffi sur la littérature gay (“La littérature gay sort les armes”). C’est un article qui propose une sorte d’état des lieux mais aussi une analyse poussée des thématiques abordées dans les sorties des derniers mois. À lire par ici !

🎧 J’aime beaucoup suivre le tout nouveau blog / projet audio de Marion / Hansy, Plages intérieures. On y trouve des textes mais aussi des petits montages audio faits de conversations, de bruits d’ambiance, de morceaux de vie glanés ça et là. Elle archive les voix de celleux qu’elle aime. Et de l’intime naît quelque chose de très universel, de très touchant, les couleurs et les sons d’une vie. Je vous conseille d’y jeter un œil et une oreille !

🎧 Toujours dans l’écoute, j’ai (évidemment) adoré écouter Adèle Haenel raconter sa bibliothèque à Marie Richeux dans le Bookclub de France Culture. Elle y développe une vision politique et collective de la lecture et de la littérature qui est très enthousiasmante et fait beaucoup de bien en ce moment.

🔥 Comme beaucoup d’autres, j’ai vraiment aimé lire l’article de Zineb Dryef sur la figure de la jeune fille au cinéma (qui fait aussi des détours par l’art et la littérature). Ça parle nouvelle vague, adaptation du Lolita de Nabokov par Kubrick, vieux mecs toxiques et donne la parole aux actrices. Ça fait réfléchir à tout ce que l’on a vu et à tout ce que l’on ne veut plus voir. À lire ici (réservé aux abonné·es du Monde).

📽 Je suis allée voir La zone d’intérêt de Jonathan Glazer, un film qui est resté avec moi pendant quelques (douloureuses) journées. J’ai donc lu plusieurs articles à son sujet pour creuser ce sentiment qui m’habitait, cette impression de ne pas réussir à m’extirper de ce film. J’ai été particulièrement intéressée par l’interview de l’historien Johann Chapoutot chez Trois couleurs (“Ce film est à la pointe de ce qui se fait en sciences humaines sur la Shoah”), par le papier d’Anaïs Bordages sur le son du film (qui est son élément clé), par l’interview de Glazer sur le film publiée par le Guardian (dans laquelle il dit que ce film dialogue avec notre présent). Et bien sûr par le portrait de Mica Levi, compositeurice du film, dans le Los Angeles Times.

✏️ J’ai aussi adoré lire cet article hyper intéressant de Raphaëlle Leyris du côté du Monde sur la traduction et ses enjeux (l’angle étant "Les auteurs appartenant à une minorité ethnique ou sexuelle doivent-ils être traduits par des personnes qui leur ressemblent ?”), où l’on sent quand même poindre les crispations de l’édition française sur plein de sujets, et notamment la relecture sensible (Sur la traduction de Nevada d‘Imogen Binnie : “Violaine Huisman a elle aussi procédé à des recherches. Elle souhaitait faire relire sa traduction à une personne trans et a suggéré le nom du comédien et auteur Océan. Nevada lui a été soumis, même si, du point de vue de Gallimard, cette étape n’avait pas vocation à valider la justesse du texte mais à le faire connaître à une personne susceptible d’en parler dans sa communauté.”).

🎬 J’ai été assez passionnée par ce grand entretien avec la critique cinéma Camille Nevers, mené par Josué Morel et Mahaut Thébault pour Critikat. Il date de 2022 mais je l’ai vu passer sur l’un de mes 72 réseaux sociaux. L’entretien m’a ouvert beaucoup de pistes de réflexions sur la critique, sur le cadre rigide dans lequel on la pratique (il y aurait à dire aussi sur sa précarité etc etc) et sur ma propre propension à m’accrocher à tout prix à mes espaces de libertés (ici ou sur mon blog). Je vous recommande de vous y plonger si le sujet vous intéresse (spoiler : c’est un long format !). On y namedrop pas mal de mes idoles, de Cukor à Minnelli.

🎬 Je vous recommande aussi la lecture de cet article du Guardian qui donne la parole au réalisateur Yuval Abraham, qui a remporté avec Basel Adra un prix à la Berlinale pour leur documentaire No Other Land et dont le discours en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza lui a valu menaces de mort et une levée de boucliers de la classe politique allemande.

Gene Tierney dans Péché Mortel

En bref :

🐹 J’ai rattrapé la série de Judith Godrèche, Icon of French Cinema (disponible gratuitement sur Arte), dont j’ai beaucoup aimé le ton un peu burlesque, un peu mélancolique, un peu absurde. Ça raconte tout ce à quoi l’actrice doit faire face à son retour en France après avoir tenté sa chance aux US. Et ça dit beaucoup de la cruauté et l’hypocrisie du monde du cinéma qui rejette les actrices qui vieillissent, les victimes d’agressions sexuelles, les victimes d’emprise, les soi-disant has been. Icon of French Cinema parle aussi d’une femme qui essaie d’empêcher que sa fille vive les mêmes traumatismes qu’elle et d’un hamster qui chante. Bref, je recommande de la rattraper !

🕶 Que vous connaissiez ou non Gene Tierney (formidable actrice que l’on peut voir dans Péché Mortel ou L’aventure de Mme Muir, deux films que j’aime beaucoup), je vous recommande le très beau documentaire qui lui est consacré et qui est disponible sur Arte en ce moment, réalisé par Clara et Julia Kuperberg. Il retrace sa vie en s’attardant sur ses rôles et ses performances, et se pose la question des raisons pour lesquelles elle est beaucoup moins connue que certaines autres actrices de son époque.

🌼 J’ai passé de très belles soirées en lisant le lumineux Et, refleurir de Kiyémis (ed. Philippe Rey), une autrice et poétesse dont j’avais beaucoup aimé le premier recueil de poésie À nos humanités révoltées. Je déteste le terme “un magnifique portrait de femme” et pourtant, je ne peux qu’admettre que Et, refleurir est un magnifique portrait de femme. Kiyémis raconte l’histoire d’Andoun, de son enfance au Cameroun à sa vie en région parisienne, de son refus de se marier et de se conformer à ce que l’on attend d’elle à sa découverte du racisme français. C’est un livre qui parle du désir absolu de liberté, dans le fond (Andoun refuse le destin qui est tracé pour elle) et dans la forme (Kiyémis mélange poésie et prose). J’ai vraiment adoré ce personnage (inspiré de la grand-mère de l’autrice) et je l’aurais volontiers suivie pendant des pages et des pages.

💣 Je n’avais pas accroché à la précédente saison de Fargo (oui ok je ne suis pas allée au bout) mais devant la hype j’ai repris avec cette cinquième saison et quelle excellente idée ! C’est une plongée dans la violence masculine et ses rouages, dans l’extrême-droite américaine et la suprématie blanche. La série trouve des façons très intelligentes de raconter le trauma, qui font comme des trouées d’émotions dans cette série toujours assez cynique et violente. Et Juno Temple est incroyable. (Il faut par contre accepter de détester Jon Hamm, ce qui est toujours un petit crève-cœur)

C’est tout pour moi, je vous laisse avec cet extrait de Et, refleurir de Kiyémis :

Avait-elle l’air de quelqu’un qui fait le ménage dans les salons de coiffure ? Elle était là pour apporter la lumière, c’était évident. Ses mains avaient assez souffert, elle était là pour faire naître le beau sur la peau des autres ! Pourtant, la question ne cessait de revenir. Une fois. Deux fois. Trois fois. À force, les voix des gardiennes de la beauté hexagonale faisaient naître le doute. Comment pouvaient-elles ignorer son talent à invoquer la splendeur, la douceur et l’attrait ? Comment ne pouvaient-elles pas voir qu’elle n’avait pas besoin de Javel, que tout en elle brillait ?