Les nouvelles d'août

I was chewing gum for something to do

Il y a quelques années quand je travaillais en rédaction et que j’étais encore un bébé journaliste, mes collègues critiques de cinéma m’avaient confié que ce n’était pas un job facile. Parce qu’il fallait subir la répétition, les projections tous les jours et que l’habitude des images tuait le désir. J’ai vécu, depuis, avec cette ombre au-dessus de la tête, cette peur de l’ennui, de la monotonie (heureusement que la précarité de la pige aide à se sentir vivante chaque jour contrairement au salaire confortable d’un CDI en presse nationale !!!). Cette peur s’est un peu réveillée quand j’ai retrouvé des piges en littérature et que je me suis mise à lire en plus grande quantité.

Pourtant, que j’ai beaucoup de travail rémunéré ou pas, il y a toujours cette phrase, ce plan, cet épisode, toujours eu cette chanson qui allume un feu en moi — un feu qu’il me faut propager à tout prix. À la veille des vacances, revoyant Virgin Suicides, la vision d’une licorne dans un décor vaporeux a ainsi déclenché une étincelle dans mon cœur. Tous les possibles sont alors ouverts, l’excitation de dire m’étreint et ce désir-là, que je poursuis toute la nuit et toute la journée suivante dans ma tête jusqu’à ce que les idées soient des petites boules de feu entre mes mains, ce désir-là défie la monotonie.

J’y pensais au printemps et au début de l’été tandis que je lisais la rentrée littéraire. J’espérais, vraiment fort, que ce n’était pas maintenant que le feu allait s’éteindre. Il y a eu des déceptions, bien sûr. Mais il y a toujours eu ces phrases qui éclatent dans les recoins de mon imagination et qui me rendent fébrile. Il y a eu Cristina Rivera Garza qui écrit de sa sœur assassinée il y a trente ans Liliana est le nom que j’ai donné à ma liberté (dans L’invincible été de Liliana aux éditions Globe). Il y a eu le portrait étrange de l’humanité dressé par Debora Levyh dans La version (Allia) et lu à travers les rayons timides du soleil. Il y a eu les galops des chevaux de Cavaler seule (La Croisée) — et lisant Kathryn Scanlan dans mon jardin, cette impression soudaine de sentir dans les mots une vérité fragile. Il y a eu l’humour bizarre de Gabriela Wiener (Portrait Huaco, Métailié) et les mots inventés de Léna Ghar (Tumeur ou Tutu, Verticales) et l’intrigue d’Anna partout de Chloé Ronsin Le Mat (Scribes) que je n’arrivais pas à lâcher, ces mots si précis sur ce que ça fait de jeter ses mots sur Internet. Et puis pendant les vacances, j’ai lu Demain, et demain, et demain de Gabrielle Zevin (Fleuve éditions) et j’ai vécu chaque matin avec ses deux personnages. Au terme de ma lecture, j’avais tellement l’impression qu’iels faisaient tellement partie de moi que j’avais envie de jouer à des jeux vidéos (autres que Tetris). Ce plaisir enfantin de la lecture sans cesse éprouvé, sans cesse renouvelé est, lui aussi, tout sauf monotone.

Et dans le foisonnement des mots des autres palpite l’envie, toujours. Le feu, jamais éteint. Et encore heureux qu’il brûle encore. Sinon à quoi bon ?

Ce que j’ai fait en août :

📚 J’ai participé au numéro de rentrée littéraire pour les Inrocks comme je le disais en intro ! Vous pouvez le trouver en kiosque mais certains des articles sont aussi disponibles en ligne : ma critique de Tumeur ou tutu de Léna Ghar, un papier sur l’amour, un article dans lequel je parle d’Eunice de Lisette Lombé. Et j’ai aussi écrit un petit portrait de l’autrice de Cavaler seule, Kathryn Scanlan, avec qui j’ai pu discuter en juin. On y parle de son style minimaliste et de sa manière de travailler. Par ici !

Sur Twitter j’ai fait un petit fil résumant mes coups de cœur si vous voulez des idées de lectures.

🔥 J’ai aussi travaillé sur la newsletter de rentrée de La ville brûle, on a discuté avec Capucine Delattre de son très bon roman Un monde plus sale que moi, qui parle de violences sexuelles, de reconstruction. Et de #MeToo avec beaucoup plus de subtilité que dans les médias. Par ici !

🦄 Et sur mon blog j’ai donc écrit un texte sur Virgin Suicides, ça parle de l’impact que le film a eu sur ma vie, d’adolescence et de mon amour un peu trop loyal et éternel pour Sofia Coppola. Ça se lit ici !

À voir / à lire / à écouter :

🎧 J’ai bien aimé écouter la série de Sophie-Catherine Gallet “Avoir raison avec Monique Wittig”. Je ne connais pas bien Wittig et son œuvre mais j’ai trouvé que la série réussissait vraiment bien à la replacer dans le contexte féministe de son époque tout en parlant très profondément de son œuvre, de son style, de sa place dans le nouveau roman, de lesbianisme politique. Ça m’a vraiment donné envie d’en savoir et d’en lire plus.

💅 J’ai majoritairement eu une grande flemme des think pieces autour de Barbie mais j’ai bien aimé cette tribune d’Azélie Fayolle (dont je vous recommande une nouvelle fois chaleureusement l’essai Des femmes et du style, paru aux éditions Divergences), notamment parce qu’elle défend le premier degré du film. (Et je pense à titre personnel qu’on ne peut pas reprocher à Greta Gerwig d’être cynique)

📚 Je recommande très fortement la lecture de la série de Faïza Zerouala et Rachida El Azzouzi, parue sur Médiapart, qui raconte la vie et l’œuvre de l’autrice algérienne Assia Djebar. Je n’ai jamais rien lu d’elle mais j’ai désormais envie de me plonger dans ses livres et de tout rattraper. À lire ici !

📹 J’ai beaucoup aimé Anatomie d’une chute de Justine Triet qui travaille profondément beaucoup de thématiques (la frontière entre réalité et fiction, vérité et mensonge, la répartition des tâches et du prestige dans les couples hétérosexuels, le poids de la parole des femmes)(et puis il m’a donné envie de revoir le formidable Anatomy of a murder d’Otto Preminger, autre excellent film de procès cette fois autour d’un viol — je vous le recommande au passage !). Bref j’ai lu et aimé cette interview croisée de Triet et Sandra Hüller dans Libération, à lire avant ou après avoir vu le film. (C’est presque méta que tous les articles/interviews se questionnent sur la dispute centrale du film et le fait que Triet ait co-écrit ce film avec son compagnon Arthur Harari)

🎬 Pendant les vacances je suis allée à l’hôtel Paradiso/MK2, c’est un hôtel cinéma, le principe étant qu’il y a un écran dans chaque chambre et qu’on peut regarder des films via plusieurs plateformes. Donc c’était l’occasion de revoir pour la millième fois Velvet Goldmine de Todd Haynes (le jour où j’en aurai marre de ce film ça voudra probablement dire que je serai morte) et de découvrir Shiva Baby d’Emma Seligman que j’ai beaucoup aimé. C’est une sorte de huis clos filmé comme un thriller qui se déroule pendant une journée lors d’un service funéraire organisé par une famille juive. Il y a beaucoup d’humour mais aussi une vraie profondeur, on se retrouve vraiment plongé·es dans les angoisses du personnage principal (surtout grâce à Rachel Sennott qui est formidable) alors qu’elle est piégée par ses nombreux mensonges. Ça se regarde sur Mubi !

📚 Je n’ai pas beaucoup lu en dehors de la rentrée littéraire mais pour préparer mon article sur Kathryn Scanlan, j’ai rattrapé son roman Aug 9 - Fog (il n’a malheureusement pas été traduit en français). Elle l’a écrit à partir du journal intime d’une vieille dame, trouvé par hasard. Elle a découpé, coupé, repris les phrases jusqu’à ce qu’il reste ce texte très court et très émouvant qui ne garde que le mouvement quotidien de la vie dans son expression la plus simple.

🖤 J’ai écouté en boucle Handshake Drugs de Wilco, qui est dans la saison 2 de The Bear (et qui est aussi l’une de mes chansons préférées au monde), la nouvelle chanson de Sufjan Stevens (quel album il nous prépare) et surtout I could be wrong d’Angelo De Augustine qui fait fondre mon petit cœur sensible.

Une newsletter plus courte car le mois d’août c’est avant tout fait pour se redécouvrir une passion pour les scoubidous, pour faire des bracelets de perles, pour manger des crêpes et pour s’ennuyer à mourir devant Oppenheimer.

Je vous laisse avec Amy Key qui, dans Arrangements in Blue (ed. Jonathan Cape), écrit à propos de l’album de Joni Mitchell :

Blue seemed to give me a complete palette to paint myself into all life’s possibilities. I took in the album’s emotional range, and it became innate. I accepted Blue as part of the language I had to express myself.